Contention : la dérive sécuritaire
Libération, 8 septembre 2015, Éric Favereau.
Source :
http://www.liberation.fr/politiques…
Un collectif de psychiatres lance un appel contre cette pratique qui consiste à attacher les malades
Ce sont des mots terribles, à la hauteur des dérives qui traversent la psychiatrie. Et c’est un appel à y mettre fin.
«Des pratiques d’un autre temps, d’un autre âge se déroulent
quotidiennement dans notre pays : celles de la contention physique»,
lâche le Dr Hervé Bokobza, un des fondateurs du Collectif des 39,
longtemps directeur d’un établissement pour jeunes psychotiques. Cette
figure du milieu poursuit : «En France, chaque jour, on enferme, on
immobilise, on attache, on sangle des personnes malades. Ces pratiques
inhumaines avaient quasiment disparu. Or, et les contrôleurs des lieux
de privation de liberté l’ont constaté, elles sont désormais en nette
augmentation et qui plus est banalisées, comme des actes ordinaires.
Dans le projet de loi sur la santé, il est même écrit, non sans cynisme
ou ignorance, que ces actes auraient des vertus thérapeutiques.»
Inefficacité
Pour lui, et pour quelques autres, cela ne peut plus durer. C’est
pourquoi ils lancent un appel ce mercredi, lors d’un colloque au Sénat
(1). «Dire non aux sangles qui font mal, qui font hurler, qui effraient
plus que tout, c’est dire oui à un minimum de fraternité, c’est
réaffirmer qu’il est possible de faire autrement. Dire non c’est
remettre au travail une pensée affadie, devenue glacée, c’est poser un
acte de régénérescence.»
Aux yeux de ces psychiatres, il y a urgence car nous ne sommes plus
seulement face à quelques dérapages isolés. «La contention est un
indicateur de la bonne ou de la mauvaise santé de la psychiatrie,
souligne le Dr Jean-Claude Pénochet, président du Syndicat des
psychiatres des hôpitaux. Plus elle va mal, plus la contention sera
utilisée.» Et c’est le cas. Tous les acteurs notent une progression des
mesures de contention, avec les chambres d’isolement, des moyens pour
attacher les malades, certains relevant une culture du personnel
soignant qui a été modifiée.
La docteure Christiane Santos, secrétaire générale de
l’Intersyndicale de défense de la psychiatrie publique, a mené une
enquête qui a fait ressortir que la pratique de la contention est
utilisée presque partout. Et n’est même plus débattue. Le Dr Thierry
Najman, qui dirige un pôle important de psychiatrie dans un hôpital de
l’Ile-de-France, sort un livre, Lieu d’asile (2), qui pointe ces
dérives. Et surtout, au-delà des questions éthiques, il démontre leur
inefficacité et leur incohérence.
A l’hôpital d’Etampes (Essonne) par exemple, sur neuf unités
d’hospitalisation, huit sont des structures fermées. Pourquoi ? «Parce
que c’est plus pratique.» De même, à Gonesse, Pontoise, Argenteuil ou
Eaubonne (Val-d’Oise), la plupart des services le sont aussi. «Alors que
ces décisions de privations de liberté ressortent d’une décision
médicale, cette fermeture n’est de fait justifiée que pour des raisons
dites de sécurité», écrit Thierry Najman.
Autre exemple, plus inquiétant, celui des détenus en prison
transférés à l’hôpital psychiatrique, où ils vont connaître un régime
hors de toute légalité : «Or ils ne sont plus prisonniers, ils sont
patients. Ils sont pourtant mis en chambre d’isolement pendant toute la
durée de leur hospitalisation. Et ils sont attachés.» Il cite l’un
d’entre eux, contenu depuis des semaines. «Il se comparait à un corps
dans un cercueil»,raconte le Dr Najman.
Violence
Même si la loi l’exige, il n’y a bien souvent aucune prescription
médicale, ni pour la contention ni pour l’isolement. Le Dr Najman parle
«de grande régression» et dénonce des «raisons invoquées […] tronquées».
En effet, on justifie les services fermés par la crainte des fugues
alors qu’il n’y en a pas plus dans les services ouverts :«Les notions de
précaution et de sécurité pèsent de plus en plus dans l’organisation du
système sanitaire, en violation de la dimension clinique qui insiste
pour que les patients soient et doivent demeurer libres.» Un rapport
récent de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) tempère par
ailleurs la dangerosité de ces fugues : «Dans la grande majorité des
cas, les malades fuguent à pied, en plein jour, par le portail central
de l’établissement et, dans la quasi-totalité des cas, le retour est
rapide et les fugues sans conséquence.»
«Le principal risque est de toujours vouloir se protéger»,note le Dr
Najman qui montre dans son ouvrage combien les services fermés et la
contention engendrent de la tension et de la violence. «La liberté de
circuler est bafouée alors que c’est un droit, y compris pour les
patients hospitalisés sans consentement», déclarait encore le contrôleur
général des lieux de privation de liberté.
On en est là : des pratiques illégales et leur banalisation encore
plus déroutante. Le Dr Bokobza lance, comme un défi : «C’est notre
responsabilité de soignants, c’est celle de tout citoyen éclairé de
s’opposer fermement à ces actes de contention qui déshumanisent les
malades mentaux… Qui d’entre nous supporterait de voir son enfant ou son
parent proche, ou un ami, en grande souffrance psychique, attaché,
ligoté, sanglé, isolé ? Qui accepterait de s’entendre dire que c’est
pour le bien de cette personne chère, alors qu’il est possible d’agir
autrement ?» Et il déclarera, ce mercredi au colloque : «Mesdames,
messieurs les sénateurs, nous sommes là. Ne pas céder à cette peur nous
revient, vous revient à vous, les élus du peuple. Il nous revient
d’affirmer haut et fort qu’une psychiatrie sécuritaire va à l’encontre
des intérêts des patients et de la société dans son ensemble. Nous
sommes persuadés que dire non à la contention, que proscrire cet acte
redonnera confiance et dignité à tous les acteurs du système de soins et
permettra que la citoyenneté retrouve sa raison d’être.»
Sera-t-il entendu ? Aujourd’hui, cette question tétanise tout le milieu de la psychiatrie.
(1) Colloque «39 alerte», organisé par le Collectif des 39 en
collaboration avec l’association Humapsy et le collectif Le fil
conducteur, sous le parrainage de la sénatrice (EE-LV) Aline Archimbaud.
Rens. :
www.collectifpsychiatrie.fr
(2) Lieu d’asile, manifeste pour une autre psychiatrie,de Thierry Najman, éd. Odile Jacob. Postface de Pierre Joxe.
Lire aussi le blog «Sur la diagonale du fou…» sur Libération
Interview • Denys Robiliard : “J’ai hésité, mais il fallait donner un signal d’alerte”
Source Libération 8 septembre 2015 :
http://www.liberation.fr/societe/20…
Le député socialiste du Loir-et-Cher a déposé un amendement
pour encadrer les pratiques de contention en dernier recours dans les
établissements psychiatriques. Il revient également sur la forte
réduction du nombre de praticiens.
Denys Robiliard, député socialiste de Blois, avocat de formation, est
un des meilleurs spécialistes de la psychiatrie en France. En 2013, il
avait rédigé un rapport sur l’état des lieux de soins. Depuis, il se
passionne pour ce sujet, continuant son tour de France des
établissements psychiatriques.
Faut-il s’inquiéter de la montée en puissance des mesures d’isolement et de contention qui se multiplient ?
C’est un vrai souci, et de nombreux professionnels de santé
soulignent que c’est un symptôme. Le problème est que cela reste mal
documenté, et nous n’avons pas de données fiables et globales. Nous
remarquons surtout des pratiques hétérogènes. Dans un même
établissement, un service va pratiquer régulièrement des mesures de
contention, et juste à côté, dans un autre service, très peu, voire pas
du tout.
Pourquoi cet arbitraire ? Comment l’expliquer ?
Un défaut d’encadrement, disent certains. Une perte de culture,
disent d’autres. La disparition de la formation des infirmiers
psychiatriques n’a sûrement pas été positive.
Vous avez déposé un amendement pour encadrer ces pratiques…
J’ai hésité, car il y avait un risque du même coup de légitimer ces
pratiques. Mais il fallait donner un signal d’alerte. Dans l’amendement,
on parle de pratiques de dernier recours, et on encadre sévèrement.
Cela étant, on ne parle pas de la contention chimique, mais là encore
nous n’avons pas d’indicateur, ni de données. La situation de ces
patients qui paraissent totalement endormis par les médicaments
m’inquiète aussi.
La psychiatrie en France serait-elle en lambeaux ?
Non. Mais elle est confrontée à une situation totalement inédite. On
parle de la contention, mais on assiste à un départ massif de
psychiatres à la retraite. Cela va profondément changer la donne. Les
plus de 60 ans sont très nombreux, se pose donc une question centrale de
renouvellement.
Certains ne veulent pas voir ce bouleversement, en notant qu’il y a
de toute façon deux fois plus de psychiatres en France qu’en
Grande-Bretagne ou en Allemagne. Mais quoi qu’ils en disent, il va
falloir réfléchir à une réarticulation des activités professionnelles
dans le champ de la santé mentale.
Vous avez des chiffres sur ce désert médical ?
Il y a déjà plus de 800 postes vacants. C’est près de 20
%
de tous les postes. Il y a dans le Nord un hôpital qui fonctionne sans
psychiatre titulaire. En plus, ces chiffres cachent des variations
régionales très fortes. Ne rien faire serait suicidaire. Bientôt, ce
sera un poste sur deux qui risque de ne pas être occupé.
Vous parlez de réarticuler les exercices professionnels…
L’équation n’est pas simple. Comment mettre tous les acteurs -
psychiatres, infirmières, psychologues - autour d’une même table, et
discuter des fonctions et des tâches de chacun ? C’est la seule façon de
faire. Si on ne le fait pas maintenant, on se met dans une situation où
l’on ne sera plus en état de gérer la baisse programmée et continue du
nombre de psychiatres.
Que pensez-vous du discours sur le manque de moyens ?
Sur le budget, restons concrets. Il n’y a pas de régression dans le
financement, celui-ci est stable. Pour autant, les besoins augmentent,
et ils vont continuer d’augmenter. Non seulement il y a de plus en plus
de patients, mais avec l’allongement de l’espérance de vie, les
pathologies deviennent plus lourdes, les malades mentaux vivent plus
longtemps. On voit par exemple que les maisons de retraite sont de plus
en plus confrontées à de la psychogériatrie.
Sur le terrain, les équipes se plaignent de plus en plus. En
psychiatrie, ils sont en budget global. Quand les secteurs sont
implantés en hôpital général, les autres disciplines médicales passent
souvent avant. Enfin, la tarification par activité favorise les actes
médicaux techniques, et non les actes relationnels. Ce qui fait
qu’indéniablement, les équipes rencontrent des difficultés réelles.
Et le milieu de la psychiatrie, comment le trouvez-vous ?
Il n’est pas si déprimé qu’on le dit. Il y a des travaux de recherche
intéressants même si, c’est vrai, il y a des problèmes de pluralisme à
respecter. On peut d’ailleurs faire le parallèle avec la recherche en
économie, où une seule théorie s’impose et domine. C’est un peu le cas,
aujourd’hui, avec la psychiatrie biologique. Je n’aime pas les sciences
officielles. Le rôle de l’État est de maintenir le pluralisme. Pour le
reste, c’est un milieu ouvert, qui demande un regard extérieur.
Récit • De Blois à Paris, la psychiatrie au quotidien
Source (Libération 8 septembre 2015) :
http://www.liberation.fr/societe/20…
Praticiens sur le départ, moyens limités, précarisation
accrue des patients… Le milieu fait face à un difficile changement de
génération. Reportage dans cinq lieux de soins
«On est à un moment historique», tranche sans hésitation Nicolas
Henckes, sociologue et spécialiste de l’histoire de la psychiatrie en
France. Changement de génération, baisse très forte de la démographie
médicale, mais aussi des nouvelles prises en charge : aujourd’hui, la
psychiatrie publique française est à un tournant. Et les perspectives
sont floues. Tour d’horizon en six lieux : Blois, Paris, Strasbourg et
Seine-Saint-Denis.
Dans un grand hôpital d’Île-de-France
C’est une machine qui tourne. Un hôpital d’Ile-de-France un rien
impersonnel. On entre, on sort rapidement. Pavillon ouvert, pavillon
surtout fermé, mais tout se mélange. Le lieu se veut pro. C’est la
psychiatrie au travail, vaille que vaille.
Là, on s’est habitué à la présence du juge, qui dans les dix jours
doit statuer sur les hospitalisations sous contrainte. Une histoire de
patient parmi d’autres. C’est un homme qui, en ce début d’été, a jeté
ses affaires par la fenêtre, la police a été appelée. «Dieu lui parle,
il a un grand délire, a noté la psychiatre qui l’a accueilli. Il est
arrivé ici dans l’après-midi, il est aussi polytoxico, sous méthadone,
un peu de cannabis. La famille ne peut pas se déplacer, mais elle était
d’accord pour qu’il soit hospitalisé.» Quand il arrive, l’homme est
apaisé, mais avec un tableau agité. Au bout de quelques jours, il est
devenu menaçant, parlant de colère divine. «Imprévisible, au début, il a
été mis dans une chambre fermée» , poursuit la psychiatre. En chambre
d’isolement, il va y rester près de deux semaines. Il est mis, aussi, en
contention, avec un traitement injectable. Il a 42 ans, deux frères.
«Ici, on n’aime pas trop la contention», dit le psychiatre qui en
prescrit pourtant régulièrement.
Brigitte, l’infirmière, raconte : «Dans un premier temps, il était
dans une chambre fermée, on tenait à peu près, puis il est devenu
agressif, mais surtout imprévisible. Cela montait en puissance, puis une
fois il a forcé la porte, on l’a mis en contention. Cela ne me pose pas
de questions, c’est pour son bien, on attend que cela se tasse, pour
pouvoir travailler avec lui.» Un patient, puis un autre. Il y a trois
chambres d’isolement, qui sont toujours occupées. Ce type de
fonctionnement est finalement accepté par tous. La mère du patient dira
juste : «On m’a dit qu’il était dans une chambre fermée, que voulez-vous
que je fasse ?»
Dans quatre semaines, le patient sortira de l’hôpital, avec un
traitement. Et un rendez-vous au centre médico-psychologique (CMP).
A la clinique de La Borde (Loir-et-Cher)
«Heureusement, il y a les malades», lâche le Dr Michel Lecarpentier,
psychiatre à La Borde. Ces mots, qu’il jette comme ça, sont comme un
rayon de soleil.
Car aujourd’hui, dans le monde de la folie, on a parfois le sentiment
que les malades dérangent, qu’ils sont de trop, qu’il vaut mieux les
mettre dans des chambres d’isolement, voire les attacher, «pour leur
bien» évidemment. Bref, le sentiment que ce serait tellement mieux si
les malades rentraient dans les cases et répondaient parfaitement aux
traitements médicamenteux.
Mais voilà, ce n’est pas le cas partout. Le château de La Borde, près
de Blois, transformé depuis 1953 en clinique psychiatrique, est le lieu
repère de ce que l’on a appelé la psychothérapie institutionnelle qui
allait façonner jusqu’à récemment toute l’organisation de la psychiatre
française. En cet été 2015, cela va plutôt bien. Jean Oury, psychiatre
emblématique de l’après-guerre, est mort il y a plus d’un an, et
nombreux étaient ceux qui redoutaient le pire pour le devenir de ce
lieu, porté de tous côtés par son fondateur. D’autant qu’avec lui, c’est
toute une génération d’aventuriers de la folie qui disparaissait. «Mon
père, note sa fille, Yannick Oury, ne parlait jamais de sa mort, mais il
avait tout préparé.» Tout continue, presque comme avant. Une centaine
de patients - pour la plupart atteints de psychoses - déambulent dans le
grand parc. Un hôpital de jour a été créé. Et comme le veut la
psychothérapie institutionnelle, les résidents sont partie prenante de
la vie, avec le club, mais aussi les assemblées générales qui jalonnent
le déroulent de la semaine.
Il y a quelques années, le Dr Oury était en guerre contre
l’administration qui lui imposait d’en finir «pour des questions
d’hygiène» avec cette cuisine qui tournait avec les malades. «On me
demande de fermer la cuisine de La Borde, parce qu’elle n’était pas aux
normes, nous disait-il. Mais que savent-ils, ces messieurs, de ce qui se
passe quand des malades font la cuisine, et servent, et mangent avec
les soignants.» Avec force, il ajoutait : «C’est la mode des séjours
courts, et c’est criminel. La schizophrénie, c’est une maladie
chronique. La vie, c’est chronique.»
Aujourd’hui, les choses se sont apaisées. Marino Pulliero, le
directeur de La Borde, gendre d’Oury, a joué avec habileté. Un modus
vivendi a été trouvé entre les exigences administratives et la vie si
particulière de ce lieu. La Borde ne perd pas d’argent. «Jusqu’à quand ?
Je ne sais pas, se demande le directeur, car si l’on continue à baisser
chaque année notre prix de journée, cela deviendra problématique.»
Dans le grand parc, il n’y a toujours aucune barrière, juste des arbres.
A l’hôpital psychiatrique de Brumath
«Donner du pouvoir aux malades.» C’est le dernier courant, venu des
pays anglo-saxons dans les années 80 : il a démarré avec les
associations de malades en opposition avec la psychiatrie classique. Et
repose sur la notion de «rétablissement» en psychiatrie. Souvent
critiqué en France, ce concept est centré sur la vie sociale du malade.
«Cette nouvelle approche réintroduit de manière militante, la notion
d’espoir dans le monde de la psychiatrie», explique Tim Greacen,
australien d’origine, chercheur en santé mentale à l’hôpital
Maison-Blanche près de Paris, et surtout militant de longue date de «la
voix des patients».
Avec Emmanuelle Jouet, chercheuse en psychologie, ils font des
formations sur le «rétablissement» à travers toute la France. «On voit
beaucoup de services de psychiatrie, complètement noyés par les
problèmes de leurs patients. Petit à petit, ils ne voient plus les
malades que comme des malades. L’idée du rétablissement est de casser
cette fatalité et de s’appuyer sur ce qui va bien chez le malade. On lui
donne les moyens de se défendre, de vivre avec l’empowerment, et de se
construire sur sa force.»
Bref, leur donner les moyens de vivre. «Mais il faut aussi essayer de
remettre les malades dans la ville, s’occuper de leur logement, du
travail. Il faut en finir avec ce monde de douleurs et sans espoir»,
insiste Tim Greacen. Des formations entre trois et cinq jours. «Et
toujours, on fait nos formations avec des usagers formateurs.» Près de
Strasbourg, ils étaient ainsi une cinquantaine : infirmiers, assistantes
sociales, éducateurs, mais comme souvent peu de psychiatres. L’Europe a
financé un projet de formation sur 16 sites. «Ce mouvement a conduit à
une véritable transformation de l’offre de soins, aux États-Unis, au
Canada, Royaume-Uni, Australie, Nouvelle-Zélande», insiste Tim Greacen.
En France, cela débute. Et des équipes, comme à Lille, à Marseille ou à
Strasbourg, s’en inspirent fortement.
Le plus grand établissement de France
C’est un seul hôpital psychiatrique. Enorme, comme jamais dans
l’histoire. L’agence régionale de santé d’Ile-de-France a validé la
création de la communauté hospitalière de territoire (CHT) parisien pour
la psychiatrie. Elle comprend trois hôpitaux (Sainte-Anne, Maison
Blanche et Perray-Vaucluse) et deux établissements associés (hôpitaux de
Saint-Maurice et ASM 13). Et à ces structures de soins sont rattachés
l’ensemble des secteurs de psychiatrie générale parisiens et plusieurs
services universitaires. Au final, l’air de rien, c’est la naissance du
plus gros hôpital psychiatrique ayant jamais existé en France. Il
regroupe tous ces gros asiles créés à la fin du XIXe siècle.
De quoi s’inquiéter ? «Il ne faut pas se leurrer, l’objectif est un
objectif de protection économique, pour éviter que les hôpitaux
psychiatriques ne disparaissent», analyse le Dr Alain Mercuel, qui
préside la communauté médicale de Saint-Anne à Paris. Et il défend ce
nouveau mastodonte : «Les choses peuvent être améliorées quand on est
ensemble. […] A quoi bon avoir quatre DRH ? En mutualisant la
logistique, on a tous à y gagner». Il avoue : «Mais nous n’avons pas le
choix, avec une augmentation du budget de zéro, si on veut conserver les
postes de soignants, il faut économiser ailleurs.»
La pédopsychiatrie à l’agonie
L’homme est fatigué, lassé. Le Dr Hervé Bentata dirige le vaste
secteur de pédopsychiatrie de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), rattaché à
l’hôpital Delafontaine. «On n’en peut plus, raconte-t-il, déjà que nous
sommes très limités, on nous demande désormais d’assumer le déficit
global de l’hôpital. Résultat, je ne vois pas comment certaines de nos
structures pourront continuer, avec la fin des vacataires. Les
professionnels se découragent, craquent, partent et sont rarement
remplacés». Perspectives sombres.
Cela fait près de dix ans qu’Hervé Bentata dirige ce secteur, dans un
des départements les plus précaires de France. C’est plus de six mois
d’attente pour une consultation dans un centre médico psychologique. «Ce
qui est inquiétant, c’est aussi le faible nombre de places pour les
enfants en grandes difficultés, notamment les enfants souffrant
d’autisme très sévère. On met des années à en trouver.» L’équipe a fait
le calcul : 400 familles renvoyées en détresse avant que les structures
de soins ne puissent les accueillir et les écouter. Dans ce département,
le taux de natalité a augmenté de 30
% en
trois ans, alimentant une demande croissante, dans une précarité
extrême. «La prise en charge tardive va à l’encontre des dépistages
précoces recommandés», insiste une pédopsychiatre. «On est coincés,
poursuit le Dr Hervé Bentata. On est pris dans une logique
administrative qui nous étouffe. Les petites économies traquées partout
par l’hôpital vont occasionner de grands drames chez nous. On nous dit
de mutualiser les psychologues, mais c’est déjà le cas. On fait face à
une méconnaissance profonde de notre travail.»
A l’Agence régionale de santé (ARS) de l’Ile-de-France, l’équipe a
été reçue. «Ce sont des gestionnaires, or on ne peut pas être géré comme
on le fait actuellement, qui amène à tout homogénéiser. Ce n’est pas
possible, il faut prendre en compte l’environnement social», analyse une
psychologue qui va démissionner.
En Seine-Saint-Denis, il n’y a aucune structure privée, aucun
psychiatre en libéral, encore moins de pédopsychiatres. «Il n’y a que
nous, insiste le Dr Bentata, comment vont faire les enfants, les parents
?»