mercredi 19 octobre 2011

suicide et droit


A propos de la liberté individuelle et des obligations à la charge de la puissance publique:

à propos du suicide assisté: "51.  A la lumière de cette jurisprudence, la Cour estime que le droit d'un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu'il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d'agir en conséquence, est l'un des aspects du droit au respect de sa vie privée au sens de l'article 8 de la Convention."

et "54.  La Cour rappelle en outre qu'il convient de lire la Convention comme un tout (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 83, CEDH 2009-....). Dès lors, il convient de se référer, dans le cadre de l'examen d'une éventuelle violation de l'article 8, à l'article 2 de la Convention, qui impose aux autorités le devoir de protéger des personnes vulnérables, même contre des agissements par lesquels ils menacent leur propre vie (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 91, CEDH 2001-III). Selon la Cour, cette dernière disposition oblige les autorités nationales à empêcher un individu de mettre fin à ses jours si sa décision n'intervient pas librement et en toute connaissance de cause."




EN DROIT
I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
32.  Invoquant l'article 8 de la Convention, le requérant se plaint des conditions requises pour l'obtention de pentobarbital sodique, à savoir une ordonnance médicale qui repose sur une expertise psychiatrique approfondie. Ces conditions ne pouvant être remplies dans son cas, il allègue que son droit de décider du moment et de la manière de mourir n'est pas respecté. Il soutient que, dans une situation exceptionnelle comme le serait la sienne, l'accès aux médicaments nécessaires au suicide devrait être garanti par l'Etat. L'article 8 est libellé comme il suit :
« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2.  Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
A.  Les thèses des parties
1.  Le requérant
33.  Le requérant est convaincu d'être victime d'une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de la vie privée, au sens de l'article 8. Il ne partage pas le point de vue du Gouvernement selon lequel il disposerait d'autres options pour mettre fin à sa vie. A ce propos, il estime que l'absorption de pentobarbital sodique est la seule méthode de suicide digne, sûre, rapide et sans douleurs. Par ailleurs, le fait que, parmi les 170 médecins auxquels il s'est adressé dans la région de Bâle, aucun n'a été disposé à l'aider démontrerait l'impossibilité de réunir les conditions fixées par le Tribunal fédéral, ce qui serait clairement contraire au principe élaboré par la Cour, selon lequel la Convention protège des droits concrets et effectifs (Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37).
34.  Le requérant souligne que les cas dans lesquels Dignitas a assisté plusieurs suicides remontent aux années 2001 à 2004. Dès lors, ils ne sauraient être pris en compte ici. Il expose qu'une enquête a été ouverte contre des médecins à Zurich, qui avaient prescrit du pentobarbital sodique à des personnes souffrant de problèmes psychiques et désireuses de se donner la mort, au motif qu'une expertise psychiatrique approfondie avait fait défaut. De plus, il allègue avoir été informé par Dignitas que l'association ne disposait plus de contacts avec des psychiatres prêts à fournir l'expertise nécessaire. Enfin, il estime qu'en vertu du droit à l'autodétermination, il n'est pas tenu de suivre une nouvelle thérapie, contrairement à ce que prétendrait le Gouvernement, dans la mesure où il aurait clairement et librement pris sa décision de mettre fin à ses jours.
35.  Quant à l'argument du Gouvernement relatif aux risques inhérents à une libéralisation excessive dans le domaine du suicide, il l'estime peu crédible, étant donné que les autorités suisses seraient de toute façon quasiment inactives dans la prévention des suicides, et ce malgré un nombre d'environ 67 000 tentatives par an (le requérant se réfère à cet égard à la réponse du Conseil fédéral du 9 janvier 2002 aux questions posées par Andreas Gross, Conseiller national et membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe).
36.  Le requérant reproche par ailleurs au Gouvernement de méconnaître qu'il souffre depuis de longues années de graves troubles mentaux. Il expose que le caractère indubitable de son intention de mettre fin à ses jours ressort clairement de ses tentatives de suicide antérieures ainsi que de ses efforts tendant à l'obtention de l'aval juridique de sa décision. Il ne serait dès lors pas nécessaire de prouver le sérieux de son intention, ni par une expertise psychiatrique approfondie ni par une assistance psychiatrique pendant un laps de temps prolongé.
37.  Compte tenu de ce qui précède, l'intéressé conclut que l'ingérence dans l'exercice de son droit au respect de sa vie privée, protégé par l'article 8 § 1, n'est justifiée ni par la protection de sa propre vie ni par les intérêts liés à la santé ou à la sécurité publiques. L'impossibilité de trouver un psychiatre disposé à fournir une expertise aurait rendu son droit au respect de sa vie privée complètement illusoire.
2.  Le Gouvernement
38.  Le Gouvernement estime qu'il n'y a pas eu, en l'espèce, d'atteinte au droit du requérant au respect de sa vie privée, garanti par l'article 8 § 1 de la Convention. A cet égard, il affirme que la présente affaire se distingue de l'affaire Pretty c. Royaume-Uni, (n2346/02, CEDH 2002-III), dans laquelle la requérante, incapable d'agir par ses propres moyens, se voyait empêchée de mettre en œuvre son choix de mourir d'une manière qu'elle considérait comme digne. En effet, d'après le Gouvernement, la maladie du requérant ne l'empêcherait pas d'agir par ses propres moyens. Il existerait de nombreuses autres solutions à disposition des personnes valides pour se suicider. Par ailleurs, à l'instar du Tribunal fédéral, le Gouvernement estime que le droit à l'autodétermination garanti par l'article 8 § 1 ne saurait comprendre le droit d'une personne de se voir accorder une aide au suicide, que ce soit par la mise à disposition des moyens nécessaires ou par le biais d'une aide active lorsque la personne n'est pas en mesure d'agir par elle-même.
39.  En tout état de cause, si la Cour devait néanmoins considérer que l'arrêt du Tribunal fédéral constitue une ingérence dans les droits garantis par l'article 8 § 1 de la Convention, le Gouvernement considère qu'une telle atteinte serait justifiée au regard des conditions énoncées au paragraphe 2 de cet article.
40.  D'après le Gouvernement, la réglementation attaquée repose sur une base légale suffisante, ce que le requérant n'aurait pas contesté (voir ci-dessus « Le droit interne comparé et international pertinent »).
41.  Le Gouvernement soutient ensuite que la restriction d'accès au pentobarbital sodique sert la protection de la santé, de la sûreté publique et la prévention des infractions pénales.
42.  Quant à la nécessité d'une telle restriction dans une société démocratique, le Gouvernement estime que la réglementation et la pratique suisses en matière d'aide au suicide sont plus permissives que dans la plupart des autres Etats du Conseil de l'Europe et que l'assistance au suicide n'y est pas punissable de manière générale, mais seulement dans certaines circonstances (article 115 du code pénal ; voir ci-dessus « Le droit interne, comparé et international pertinent »).
43.  Il expose que l'aide au suicide de personnes atteintes d'une maladie psychique est non seulement possible en Suisse sur le plan juridique, mais aussi pratiquée dans les faits. A la connaissance du Gouvernement, les condamnations pénales de médecins au motif qu'ils auraient prescrit du pentobarbital sodique concernent toutes des cas où le diagnostic n'avait pas été soigneusement établi ou était manifestement erroné. Par ailleurs, selon une étude menée entre 2001 et 2004 sur les suicides assistés par les associations Exit et Dignitas, qui ont fait l'objet d'investigations de la part de l'Institut de médecine légale de l'Université de Zurich, douze personnes atteintes d'une maladie psychique ont été assistées par ces deux associations pendant cette période. Ces cas n'auraient pas donné lieu à des poursuites ou à d'autres mesures à l'encontre des médecins impliqués. Par ailleurs, il ressortirait des rapports annuels d'Exit que celle-ci a, aussi bien en 2007 qu'en 2008, accompagné le suicide d'une personne souffrant d'une maladie psychique (rapports de la Commission de gestion de l'association pour les années 2007 et 2008, annexes 3 et 4). Selon le Gouvernement, cela démontre que des médecins étaient prêts à procéder aux examens nécessaires et à prescrire la quantité requise de pentobarbital sodique à ces personnes. A la connaissance du Gouvernement, ces cas n'ont pas eu de conséquences juridiques. Partant, le Gouvernement soutient que, s'il était prêt à accepter les modalités établies par le Tribunal fédéral et confirmées par la Société suisse de psychiatrie forensique, le requérant serait en mesure de trouver un médecin qui, après un accompagnement sur une certaine durée, pourrait attester, le cas échéant, qu'il remplit les conditions pour une prescription de cette substance.
44.  Par ailleurs, le Gouvernement considère que les démarches poursuivies par le requérant pour prendre contact avec un médecin soulèvent quelques interrogations. Premièrement, il relève que Dignitas, qui a assisté le requérant dans sa démarche, avait accordé l'aide au suicide à plusieurs personnes atteintes de maladies psychiques. Il en déduit que l'association devait connaître des médecins pouvant prendre en charge la demande du requérant. Deuxièmement, depuis 2006, en accord avec l'arrêt du Tribunal fédéral, le canton de Zurich aurait modifié sa pratique pour que des médecins établissant une ordonnance pour du pentobarbital sodique ne s'exposent plus à des poursuites pénales. Or, une fois levé l'obstacle critiqué dans la procédure interne, plutôt que de s'adresser à un médecin du canton de Zurich, le requérant aurait fait attester par un notaire l'envoi d'une demande écrite à 170 psychiatres, pratiquant tous dans la région de Bâle, à l'exception d'une doctoresse pratiquant à Berne. Troisièmement, le Gouvernement, ignorant selon quels critères le requérant a choisi les 170 destinataires de sa demande, estime que la formulation de la lettre n'était pas de nature à encourager un médecin à y répondre positivement, dans la mesure où l'intéressé, en rejetant d'avance toute thérapie et en demandant uniquement une expertise, excluait d'emblée l'étude sérieuse d'alternatives au suicide, laquelle fait partie de l'examen qui doit précéder la prescription de pentobarbital sodique.
45.  En outre, selon le Gouvernement, si la réglementation relative à l'aide au suicide place les autorités étatiques devant des questions éthiques difficiles, elle est d'autant plus délicate dans le cas de personnes qui ne sont pas atteintes d'une maladie mortelle. Le choix de la personne serait alors non pas de préférer une mort douce à une mort précédée ou accompagnée de grandes souffrances, comme dans l'affaire Pretty notamment, mais de préférer la mort à la vie.
46.  Le Gouvernement rappelle également que, selon l'article 2 de la Convention, l'Etat est tenu non seulement de s'abstenir de provoquer la mort de manière volontaire et irrégulière, mais aussi de prendre les mesures nécessaires à la protection de la vie des personnes relevant de sa juridiction contre le fait d'autrui ou, comme en l'espèce, contre elles-mêmes (Kılavuz c. Turquie, no 8327/03, § 78, 21 octobre 2008). Dès lors que les autorités ont connaissance d'un risque de suicide d'une personne, elles sont tenues d'entreprendre tout ce que l'on peut raisonnablement attendre d'elles pour prévenir ce risque (Kılavuz, précité, § 88).
47.  A cet égard, le Gouvernement expose qu'en psychiatrie, le choix du suicide est perçu comme un symptôme d'une maladie psychique, à laquelle il y a lieu de répondre par une thérapie adéquate. D'après lui, il faut donc faire la distinction entre la volonté de se suicider comme expression de la maladie et la volonté de se suicider comme décision autonome, réfléchie et durable. Vu la complexité des maladies psychiques et leur évolution irrégulière, la distinction ne pourrait être faite sans un examen sérieux, sur une période permettant de vérifier la constance de la volonté de se suicider, et sans la réalisation d'une expertise complète. Un tel examen nécessiterait des connaissances psychiatriques approfondies et ne pourrait être effectué que par un spécialiste.
48.  Selon le Gouvernement, l'obligation de présenter un certificat médical implique certaines démarches de la part de l'intéressé, qui ne paraissent toutefois pas insurmontables si le choix du suicide est autonome et durable. Il s'agirait d'un moyen approprié et nécessaire à la protection de la vie des personnes vulnérables, dont le choix du suicide pourrait reposer sur une crise passagère qui limiterait leur capacité de discernement. D'après le Gouvernement, il est notoire que de nombreux suicides ne répondent pas à une véritable volonté de mourir, mais constituent bien plus un appel à l'aide destiné à attirer l'attention de l'entourage sur un problème. Faciliter l'accès à l'aide au suicide reviendrait presque à pousser ces personnes à user d'un moyen infaillible de mettre fin à leurs jours.
49.  Le Gouvernement allègue que la solution adoptée en Suisse correspond à la réglementation de la Convention sur les substances psychotropes et que, si la Suisse devait fournir du pentobarbital sodique au requérant sans ordonnance médicale ou sur la base d'une ordonnance qui ne satisferait pas aux exigences médicales, elle violerait clairement cette réglementation. Nécessaire à la protection de la vie, de la santé et de la sécurité, la mesure contestée satisferait aux conditions de l'article 8 § 2 de la Convention et ne constituerait pas une violation de celle-ci.
B.  L'appréciation de la Cour
50.  Comme la Cour a déjà eu l'occasion de l'observer, la notion de « vie privée » est une notion large, non susceptible d'une définition exhaustive. Elle recouvre l'intégrité physique et morale de la personne (X et Y c. Pays-Bas, arrêt du 26 mars 1985, § 22, série A no 91). Elle peut parfois englober des aspects de l'identité physique et sociale d'un individu (Mikulić c. Croatie, no 53176/99, § 53, CEDH 2002-I). Des éléments tels que, par exemple, le nom, l'identification sexuelle, l'orientation sexuelle et la vie sexuelle relèvent de la sphère personnelle protégée par l'article 8 (voir, par exemple, arrêts B. c. France, 25 mars 1992, § 63, série A no 232-C, Burghartz c. Suisse, 22 février 1994, § 24, série A no 280-B, Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981, § 41, série A no 45 et Laskey, Jaggard et Brown c. Royaume-Uni, 19 février 1997, § 36, Recueil des arrêts et décisions 1997-I). Cette disposition protège également le droit au développement personnel et le droit d'établir et d'entretenir des rapports avec d'autres êtres humains et le monde extérieur (voir, par exemple, arrêts Burghartz, précité, avis de la Commission, § 47, et Friedl c. Autriche, 31 janvier 1995, série A no 305-B, avis de la Commission, p. 20, § 45). Dans l'affaire Pretty c. Royaume-Uni (no 2346/02, § 67, CEDH 2002-III), la Cour a estimé que le choix de la requérante d'éviter ce qui, à ses yeux, constituerait une fin de vie indigne et pénible tombait dans le champ d'application de l'article 8 de la Convention.
51.  A la lumière de cette jurisprudence, la Cour estime que le droit d'un individu de décider de quelle manière et à quel moment sa vie doit prendre fin, à condition qu'il soit en mesure de forger librement sa propre volonté à ce propos et d'agir en conséquence, est l'un des aspects du droit au respect de sa vie privée au sens de l'article 8 de la Convention.
52.  Selon la Cour, la présente affaire se distingue de l'affaire Pretty, précitée. A l'instar du Tribunal fédéral, il convient de préciser d'abord que la présente cause ne concerne pas la liberté de mourir et l'éventuelle impunité de la personne prêtant son assistance à un suicide. L'objet de la controverse est ici de savoir si, en vertu de l'article 8, l'Etat doit faire en sorte que le requérant puisse obtenir du pentobarbital sodique sans ordonnance médicale, par dérogation à la législation, afin qu'il puisse mourir sans douleur et sans risque d'échec. Autrement dit, à la différence de l'affaire Pretty, le requérant allègue non seulement que sa vie est difficile et douloureuse, mais également que, s'il n'obtient pas la substance litigieuse, l'acte de suicide s'avérerait indigne. En outre, et toujours à la différence de l'affaire Pretty, le requérant ne peut pas véritablement être considéré comme une personne infirme, dans la mesure où il ne se trouve pas au stade terminal d'une maladie dégénérative incurable, qui l'empêcherait de se suicider (voir, a contrario, Pretty, précité, § 9).
53.  La Cour estime qu'il convient d'examiner la demande du requérant à avoir accès au pentobarbital sodique sans ordonnance médicale sous l'angle d'une obligation positive de l'Etat de prendre les mesures nécessaires permettant un suicide digne. Partant, il conviendra d'opérer une mise en balance des différents intérêts en jeu, dans le cadre de laquelle l'Etat jouit d'une certaine marge d'appréciation (Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290), qui varie selon la nature des questions et l'importance des intérêts en jeu (Pretty, précité, § 70).
54.  La Cour rappelle en outre qu'il convient de lire la Convention comme un tout (Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (no 2) [GC], no 32772/02, § 83, CEDH 2009-....). Dès lors, il convient de se référer, dans le cadre de l'examen d'une éventuelle violation de l'article 8, à l'article 2 de la Convention, qui impose aux autorités le devoir de protéger des personnes vulnérables, même contre des agissements par lesquels ils menacent leur propre vie (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 91, CEDH 2001-III). Selon la Cour, cette dernière disposition oblige les autorités nationales à empêcher un individu de mettre fin à ses jours si sa décision n'intervient pas librement et en toute connaissance de cause.
55.  La Convention et ses Protocoles doivent s'interpréter à la lumière des conditions d'aujourd'hui (Tyrer c. Royaume-Uni, 25 avril 1978, § 31, série A no 26, Airey c. Irlande, 9 octobre 1979, § 26, série A no 32, et Vo c. France [GC], no 53924/00, § 82, CEDH 2004-VIII). Toutefois, les recherches effectuées par la Cour lui permettent de conclure que l'on est loin d'un consensus au sein des Etats membres du Conseil de l'Europe quant au droit d'un individu de choisir quand et de quelle manière il veut mettre fin à ses jours. En Suisse, selon l'article 115 du code pénal, l'incitation et l'assistance au suicide ne sont punissables que lorsque l'auteur de tels actes les commet en étant poussé par un mobile égoïste. A titre de comparaison, les pays du Benelux, notamment, ont décriminalisé l'acte d'assistance au suicide, mais uniquement dans des circonstances bien précises. Certains d'autres pays admettent seulement des actes d'assistance « passive ». Mais la grande majorité des Etats membres semblent donner plus de poids à la protection de la vie de l'individu qu'à son droit d'y mettre fin. La Cour en conclut que la marge d'appréciation des Etats est considérable dans ce domaine.
56.  En ce qui concerne la pesée des intérêts en jeu, la Cour admet la volonté du requérant de se suicider de manière sûre, digne et sans douleur et souffrances superflues, compte tenu notamment du nombre élevé de tentatives de suicide qui échouent et qui ont souvent des conséquences graves pour les victimes et leurs proches. Toutefois, la Cour est d'avis que le régime mis en place par les autorités, à savoir l'exigence d'une ordonnance médicale afin de prévenir des abus, a pour objectif légitime de protéger notamment toute personne d'une prise de décision précipitée, ainsi que de prévenir des abus, notamment d'éviter qu'un patient incapable de discernement obtienne une dose mortelle de pentobarbital sodique (voir, mutatis mutandis, pour la question des restrictions à l'avortement, Tysiąc c. Pologne, no 5410/03, § 116, CEDH 2007-IV).
57.  Cela est d'autant plus vrai s'agissant d'un pays comme la Suisse, dont la législation et la pratique permettent assez facilement l'assistance au suicide. Lorsqu'un pays adopte une approche libérale, des mesures appropriées de mise en œuvre d'une telle législation libérale et des mesures de prévention des abus s'imposent. De telles mesures sont également indiquées dans un but d'éviter que ces organisations n'interviennent dans l'illégalité et la clandestinité, avec un risque d'abus considérable.
58.  En particulier, la Cour considère que l'on ne saurait sous-estimer les risques d'abus inhérents à un système facilitant l'accès au suicide assisté. A l'instar du Gouvernement, elle est d'avis que la restriction d'accès au pentobarbital sodique sert la protection de la santé, la sûreté publique et la prévention d'infractions pénales. Elle partage à cet égard le point de vue du Tribunal fédéral, selon lequel le droit à la vie garanti par l'article 2 de la Convention oblige les Etats à mettre en place une procédure propre à assurer qu'une décision de mettre fin à sa vie corresponde bien à la libre volonté de l'intéressé. La Cour estime que l'exigence d'une ordonnance médicale, délivrée sur le fondement d'une expertise psychiatrique complète, est un moyen permettant de satisfaire à cette exigence. Cette solution correspond d'ailleurs à l'esprit de la Convention internationale sur les substances psychotropes et à celles adoptées dans certains Etats membres du Conseil de l'Europe.
59.  Dans la présente affaire, les opinions des parties divergent considérablement sur la question d'un accès effectif à une expertise médicale favorable au requérant, qui aurait permis l'accès au pentobarbital sodique. La Cour n'exclut pas que les psychiatres puissent se montrer réticents lorsqu'ils sont confrontés à une demande de prescription d'une substance mortelle. A cet égard, elle considère également, au vu de la question délicate du discernement de l'intéressé, que la menace de poursuites pénales qui pèse sur les médecins prêts à fournir une expertise approfondie afin de faciliter un suicide est réelle (voir, mutatis mutandis, Tysiąc, précité, § 116 ; voir, par exemple, les arrêts 6B_48/2009 et 6B_14/2009 du Tribunal fédéral du 11 juin 2009, paragraphe 28 ci-dessus).
60.  En même temps, la Cour admet les arguments du Gouvernement, selon lesquels les démarches poursuivies par le requérant pour prendre contact avec un médecin soulèvent certaines interrogations (paragraphe 44 ci-dessus). Selon la Cour, ces arguments n'ont pas été véritablement remis en question par le requérant. La Cour observe en outre que celui-ci a envoyé les 170 lettres après que le Tribunal fédéral eut statué sur son recours. Dès lors, ces démarches ne peuvent a priori pas être prises en compte dans la présente affaire. En tout état de cause, comme l'allègue le Gouvernement, ces lettres ne semblent pas de nature à encourager les médecins à répondre favorablement, dans la mesure où le requérant y précisait qu'il rejetait toute thérapie, excluant ainsi l'étude plus approfondie d'éventuelles alternatives au suicide. Au vu des informations qui lui ont été soumises, la Cour n'est pas convaincue que le requérant se trouvait dans l'impossibilité de trouver un spécialiste prêt à l'assister. Partant, la Cour n'estime pas que le droit du requérant de choisir le moment et la manière de mourir n'existait que de manière théorique et illusoire (critère élaboré dans l'affaire Artico c. Italie, 13 mai 1980, § 33, série A no 37).
61.  Compte tenu de ce qui précède, et eu égard à la marge d'appréciation dont disposent dans ce domaine les autorités internes, la Cour estime que, même à supposer que les Etats aient une obligation positive d'adopter les mesures permettant de faciliter un suicide dans la dignité, les autorités suisses n'ont pas violé cette obligation dans le cas d'espèce.
Il s'ensuit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 8 de la Convention ;