Rupture de programme de soins et
réintégration d’un patient en SDRE : La Cour de Cassation précise les
conditions d’une réadmission en hospitalisation complète
Articles L.
3213-1, L. 3211-2-1, L. 3211-11 du Code de la santé publique :
Dans cette
affaire, un patient avait été admis en soins sous contrainte à la demande du
représentant de l’Etat (SPDRE) à la suite d’une agression contre ses voisins en
2011. Sa prise en charge avait classiquement débuté par une hospitalisation
complète (HC) avant la mise en place d’un programme de soins (PS) correspondant
à l’évolution de son état de santé.
Par arrêté
« du 24 juillet 2012 le Préfet du
NORD avait ordonné le suivi psychiatrique sous une forme autre que l'hospitalisation
complète à compter du 26 juillet 2012 suivant les modalités définies dans un
programme établi par le docteur Z.. Le
docteur Y. avait établi le 14 novembre 2012 un certificat indiquant que [le
patient] refusait actuellement le traitement prescrit et que compte-tenu de ses
antécédents où l'on retrouvait plusieurs passages à l'acte hétéro agressifs
liés à une recrudescence délirante elle-même liée à l'arrêt d'un traitement
médicamenteux, il sollicitait la réintégration en milieu hospitalier du patient
avec l'aide de forces de l'ordre ; […] par arrêté du 15 novembre 2012, le
Préfet du NORD avait donc ordonné la poursuite des soins de M. X... sous la
forme d'une hospitalisation complète ».
L’article L.
3213-1 du CSP organise une mesure de police administrative destinée à protéger
l’ordre public. Il prévoit qu’« à Paris, le préfet de police et, dans les
départements, les représentants de l'Etat prononcent par arrêté, au vu d'un
certificat médical circonstancié, l'hospitalisation d'office dans un
établissement mentionné à l'article L. 3222-1 des personnes dont les troubles
mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou
portent atteinte, de façon grave, à l'ordre public ». L’agression de
voisins est indéniablement un fait troublant gravement l’ordre public et
compromettant la sureté des personnes. La mesure individuelle de police vise à
éviter que de tels agissements se reproduisent.
Le préfet
(conformément aux divers certificats médicaux) avait estimé que, malgré la
prise en charge médicale débutée en 2011, il n’était toujours pas en mesure de
lever la mesure de contrainte en 2012.
Cette mesure
limitative de liberté (programme de soins) avait été durcie pour tenir compte
du comportement du patient qui avait rompu le programme fixé par le psychiatre.
Cette réintégration constitue une mesure privative de liberté dont la légalité
sera systématiquement contrôlée par le juge des libertés et de la détention
(JLD) dans les 12 jours suivant la réintégration.
La Cour
d’appel de Douai (14 décembre 2012) avait ordonné la mainlevée de cette ré-hospitalisation
complète sous contrainte en estimant que, pour pouvoir priver une personne de
liberté, il fallait démontrer qu’au moment de la réadmission le comportement du
patient troublait de façon grave l’ordre public. Les faits initiaux de 2011, à
l’origine de la mesure, ne pouvaient suffire à eux seuls à justifier la
ré-hospitalisation. La rupture du programme de soins ne suffit pas à motiver la
transformation de la mesure. Pour la Cour d’appel de Douai, aucun document
(certificats ou avis) ne faisait état d’un comportement de «type
hétéro-agressif», pouvant compromettre la sûreté des personnes ou porter
atteinte de façon grave à l’ordre public conformément aux exigences légales
résultant des dispositions de l’article L. 3213-1 I, du code de la santé
publique.
S’il est
indispensable de démontrer mensuellement que malgré les soins prodigués le
trouble à l’ordre public persiste et que par conséquent la mesure de police est
toujours justifiée, il reste loisible au psychiatre de préconiser la
modification des modalités de prise en charge du patient.
C’est ce que
prévoit l’article L. 3211-11 CSP :« Le
psychiatre qui participe à la prise en charge du patient peut proposer à tout
moment de modifier la forme de la prise en charge mentionnée à l'article L. 3211-2-1
pour tenir compte de l'évolution de l'état de la personne. Il établit en ce
sens un certificat médical circonstancié. Le psychiatre qui participe à la
prise en charge du patient transmet immédiatement au directeur de
l'établissement d'accueil un certificat médical circonstancié proposant une
hospitalisation complète lorsqu'il constate que la prise en charge de la
personne décidée sous une autre forme ne permet plus, notamment du fait du
comportement de la personne, de dispenser les soins nécessaires à son état.
Lorsqu'il ne peut être procédé à l'examen du patient, il transmet un avis
établi sur la base du dossier médical de la personne ».
La Cour de
cassation casse et annule la décision de la Cour d’appel. Elle considère
« qu'il résulte de la combinaison de ces textes
[article L. 3213-1-I et L.3211-11] que, si une personne ne peut être admise ni
maintenue en soins psychiatriques sur décision du représentant de l'Etat, sous
la forme d'une hospitalisation complète ou sous une autre forme, qu'à la
condition qu'il soit constaté qu'elle souffre de troubles mentaux compromettant
la sécurité des personnes ou portant gravement atteinte à l'ordre public, les modalités de sa prise en charge
peuvent être modifiées, sur proposition du psychiatre qui y participe,
pour tenir compte de l'évolution de son état, notamment dans l'hypothèse où la
mesure, décidée sous une autre forme que l'hospitalisation complète ne permet
plus, du fait du comportement du patient, de lui dispenser les soins adaptés, sans qu'il soit alors nécessaire de
constater qu'il a commis de nouveaux actes de nature à compromettre la sécurité
des personnes ou à porter atteinte à l'ordre public ».
En procédant
de la sorte, la Cour de cassation fait une lecture parfaitement conforme à
l’esprit de la loi. En effet, il convient de distinguer les faits à l’origine
de la mesure et ceux conduisant à une réadmission. La décision de réadmission doit être motivée par l'état actuel du patient. Cela suppose donc que le psychiatre qui demande la réadmission rédige un certificat (et non théoriquement un avis) insistant sur le besoin de replacer le patient en observation afin de vérifier si son état de santé s'est dégradé.
Pour maintenir une personne en hospitalisation complète sous contrainte (HCC) à
l’issue d’une réadmission, il est primordial de démontrer que le durcissement
de la prise en charge est « nécessaire, adapté et proportionné » à
l’état du patient.
L’hospitalisation
complète n’est pas une sanction disciplinaire prononcée contre un patient qui
aurait rompu un programme de soins. Elle ne peut se justifier que si les
soignants démontrent que l’état du patient le justifie. Comme toute mesure de police, le préfet devra réussir à justifier qu'il ne pouvait pas faire moins attentatoire aux libertés fondamentales du patient. Ce n'est pas tant l'existence d'un trouble à l'ordre public qui est ici problématique que le caractère proportionné de la décision individuelle.
E. Péchillon
Références
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 15 octobre 2014
N° de pourvoi: 13-12220
Publié au
bulletin Cassation
Mme Batut (président), président
SCP Garreau, Bauer-Violas et Feschotte-Desbois, avocat(s)
Texte intégral
REPUBLIQUE
FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE
CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu les articles L. 3213-1, L. 3211-2-1 dans sa version applicable en la cause,
et L. 3211-11 du code de la santé publique ;
Attendu qu'il
résulte de la combinaison de ces textes que, si une personne ne peut être
admise ni maintenue en soins psychiatriques sur décision du représentant de
l'Etat, sous la forme d'une hospitalisation complète ou sous une autre forme,
qu'à la condition qu'il soit constaté qu'elle souffre de troubles mentaux
compromettant la sécurité des personnes ou portant gravement atteinte à l'ordre
public, les modalités de sa prise en charge peuvent être modifiées, sur
proposition du psychiatre qui y participe, pour tenir compte de l'évolution de
son état, notamment dans l'hypothèse où la mesure, décidée sous une autre forme
que l'hospitalisation complète ne permet plus, du fait du comportement du
patient, de lui dispenser les soins adaptés, sans qu'il soit alors nécessaire
de constater qu'il a commis de nouveaux actes de nature à
compromettre la sécurité des personnes ou à porter atteinte à l'ordre public ;
Attendu, selon l'ordonnance attaquée et les productions, que M. X..., qui avait
commis une agression sur un de ses voisins le 26 mars 2011, a fait l'objet d'un
arrêté préfectoral ordonnant son hospitalisation d'office au sein d'un établissement
psychiatrique ; que la prise en charge du patient s'est poursuivie sous des
formes alternées d'hospitalisation complète et de programmes ambulatoires
jusqu'à un arrêté préfectoral du 15 novembre 2012, ordonnant, à la demande du
médecin dirigeant le service où ces soins ambulatoires étaient dispensés, sa
réadmission en hospitalisation complète ;
Attendu que pour prononcer la mainlevée de cette mesure dans le délai de
vingt-quatre heures afin de permettre l'établissement d'un programme de soins,
l'ordonnance, rendue à l'occasion du contrôle des mesures d'hospitalisation
sous contrainte, constate que, si, lors de sa première hospitalisation sans
consentement, faisant suite à l'agression de son voisin, M. X... présentait des
troubles mentaux le rendant dangereux pour lui-même et pour autrui et causant
un trouble grave à l'ordre public, et s'il s'était montré agressif envers un
infirmier, ce qui avait fondé une décision de réadmission en hospitalisation
complète le 2 décembre 2011, ces incidents remontaient respectivement à plus de
vingt mois et à un an, que la dangerosité pour autrui du patient devait
s'apprécier au moment de la décision, que le certificat du 14 novembre 2012
mentionnait que M. X..., depuis la sortie du milieu hospitalier, n'avait pas eu
de troubles du comportement de type hétéro-agressivité ; que l'ordonnance
ajoute qu'il n'est pas établi que le patient aurait, depuis la fin de la
précédente mesure d'hospitalisation complète, perpétré quelque fait que ce fût
de nature à compromettre la sûreté des personnes ou à porter atteinte de façon
grave à l'ordre public , ni qu'il présente un danger pour autrui, conformément
aux exigences légales résultant des dispositions de l'article L. 3213-1, I,
alinéa 1er, du code de la santé publique ;
Qu'en statuant
ainsi, alors qu'une telle circonstance n'excluait pas la nécessité de faire
suivre au patient un traitement sous la forme d'une hospitalisation complète,
le premier président a méconnu les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du
moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 14
décembre 2012, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel
de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles
se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie
devant le premier président de la cour d'appel d'Amiens ;