lundi 29 avril 2013

nouvelle condamnation de la France par la CEDH


 Cour EDH, 5e Sect. 25 avril 2013, Canali contre France, Req. n° 40119/09
Affaire Canali contre France



voir le très complet et précieux commentaire de Nicolas Hervieu in Lettre « Actualités Droits-Libertés » du CREDOF, 29 avril 2013.



Communiqué de presse:

Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants), le requérant se plaint d’avoir été soumis à des conditions de détention inhumaines et dégradantes à la maison d’arrêt Charles III de Nancy. Invoquant les articles 6 (droit à un procès équitable) et 13 (droit à un recours effectif), il se plaint de n’avoir pu accéder au
juge pénal pour soumettre son grief relatif à ses conditions de détention.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 20 juillet
2009.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Mark Villiger (Liechtenstein), président,
Angelika Nußberger (Allemagne),
Boštjan M. Zupančič (Slovénie),
Ann Power-Forde (Irlande),
André Potocki (France),
Paul Lemmens (Belgique),
Helena Jäderblom (Suède),
ainsi que de Claudia Westerdiek, greffière de section.

Décision de la Cour
Article 3



La Cour observe que la maison d’arrêt Charles III de Nancy a fermé définitivement ses portes en 2009 en raison de sa vétusté, soit trois ans après les faits ici dénoncés. Elle avait été construite en 1857 et en 2000, un rapport sur la situation dans les prisons françaises de l’assemblée nationale parlait de « conditions d’accueil inacceptables des détenus masculins (…) où existent encore des dortoirs de 16 places dans lesquels les détenus s’isolent par des serviettes de bain. »
La Cour relève que le requérant a été détenu pendant 6 mois dans cette prison. Il partageait une cellule de 9 m2 avec un autre détenu, cette cellule comportait les installations sanitaires (lavabo et toilettes) et les meubles (une table, un lit superposé et deux chaises). Une telle surface occupée correspond au minimum de la norme recommandée par le Comité de prévention de la torture (CPT). Dans son rapport de 2010, le CPT faisait valoir qu’une cellule individuelle de 10,5 m2 occupée par deux détenus est acceptable sous réserve que les détenus aient la possibilité de passer une partie raisonnable de la journée, au moins huit heures, hors de la cellule.
L’espace de vie en l’espèce ne justifie pas à lui seul le constat de violation de l’article 3. La Cour rappelle que d’autres aspects parmi les conditions de détention doivent être pris en compte.
La Cour note en premier lieu que le requérant ne disposait que d’une possibilité très limitée de passer du temps à l’extérieur de la cellule. Il était confiné la majeure partie de la journée dans sa cellule sans liberté de mouvement, avec une heure de promenade le matin ou l’après-midi dans une cour de 50 m2.
En second lieu, concernant l’installation sanitaire et l’hygiène, la Cour rappelle que l’accès à des toilettes convenables et le maintien de bonnes conditions d’hygiène sont des éléments essentiels à un environnement humain. Les détenus doivent pouvoir facilement accéder à des installations sanitaires où leur intimité est protégée. Une annexe sanitaire qui n’est que partiellement cloisonnée n’est pas acceptable dans une cellule occupée par plus d’un détenu. La Cour considère que l’effet cumulé de la promiscuité et des manquements relevés aux règles de l’hygiène ont provoqué chez le requérant des sentiments de désespoir et d’infériorité propres à le rabaisser et à l’humilier. Ces conditions de détentions s’analysent en un traitement dégradant qui conduit à une violation de l’article 3.
Articles 6 et 13
Le requérant avait déposé une plainte avec constitution de partie civile en 2006, ce qui était un recours effectif et suffisant. Lorsque la voie pénale a été fermée par l’arrêt de la Cour de cassation du 20 janvier 2009, le recours indemnitaire devant la juridiction administrative restait disponible pour se plaindre de conditions de détention contraires à la dignité. La Cour estime que le requérant ne peut soutenir que la décision rendue par la Cour de cassation l’a privé de tout recours effectif. Elle rejette le grief du requérant pour défaut de fondement.

Le Sénat fait un bilan de la loi pénitentiaire

compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Patrick Courtois
vice-président
Secrétaires :
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx,
M. François Fortassin.
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures trente-cinq.)
2
Débat sur la loi pénitentiaire
M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur la loi pénitentiaire, organisé à la demande de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, de la commission des lois et du groupe du RDSE.
La parole est tout d’abord aux orateurs des commissions et du groupe qui ont demandé ce débat, et en premier lieu à M. le président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois
M. David Assouline, président de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, hasard du calendrier parlementaire, notre débat de contrôle sur l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 s’ouvre quelques jours après la spectaculaire évasion de Redoine Faïd de la prison de Sequedin, puis les menaces d’évasion proférées par Christophe Khider dans une interview largement relayée par la presse.
De tels épisodes posent à nouveau plusieurs questions que nous avions soulevées l’an dernier dans l’excellent rapport commun présenté en juillet 2012 par Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Jean-René Lecerf, au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois et de la commission des lois.
Parmi ces questions, je citerai en particulier le nécessaire renforcement des moyens de contrôle pour empêcher que des armes, des explosifs ou de la drogue ne soient introduits dans les prisons.
Mais plutôt que de m’arrêter à ce qui relève du fait divers, je crois préférable de nous pencher, ce matin, sur des difficultés plus structurelles qui affectent notre système pénitentiaire et qui ont été très bien diagnostiquées par nos deux rapporteurs.
Sur un sujet aussi sensible, je tiens à saluer non seulement la qualité de leur travail, mais aussi leur grande impartialité et le caractère consensuel de leurs conclusions. Comme j’ai souvent eu l’occasion de le dire, la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois s’est fixée pour principe de confier l’évaluation et le contrôle de l’application des lois à des rapporteurs de sensibilités politiques différentes fonctionnant en binômes. Si M. Jean-René Lecerf sera aujourd’hui le seul à intervenir pour présenter ce rapport, c’est parce que sa corapporteur a démissionné de son mandat sénatorial en septembre dernier.
Compte tenu de la brièveté de mon temps de parole, je laisserai M. Jean-René Lecerf détailler les conclusions et les propositions du rapport, et axerai mon propos sur trois observations liminaires.
La première est un constat de lacune, qui est au cœur de la mission que je préside : la non-publication de plusieurs décrets d’application prévus par cette loi, en particulier le décret relatif à la mise en place d’un système d’évaluation indépendante du taux de récidive par établissement pénitentiaire et le décret concernant les règlements intérieurs types par catégorie d’établissement.
Je ne doute pas que l’élaboration de tels dispositifs soit très complexe, mais comment ne pas s’interroger sur ce délai de plus de trois ans – deux ans sous le précédent gouvernement et un an sous celui-ci ? Au-delà du constat, c’est une question qui est posée.
Devons-nous nous résigner à voir les articles 7 et 86 de la loi pénitentiaire rester lettre morte ? Était-ce là la volonté du législateur en 2009 ?
Ma deuxième observation est, en réalité, une question : où en est la réflexion du Gouvernement sur la possibilité d’installer des bureaux de vote dans les établissements pénitentiaires, recommandation qui figurait dans notre rapport mais qui ne semble pas avoir été suivie d’effet ?
C’est pourtant bien un problème d’application des lois, car, en supprimant les peines complémentaires automatiques lors de la réforme du code pénal, le législateur de 1994 a souhaité préserver l’exercice du droit de vote aux détenus ayant conservé leurs droits civiques. C’est bien d’eux dont il s’agit.
Encore faut-il que ce soit techniquement possible ! Or, dans l’environnement carcéral, proposer aux prisonniers de voter par procuration est-il vraiment réaliste ? À qui donner la procuration ? À un codétenu ? À un gardien ou à un directeur de la prison ? À une personne de la commune où est située la prison, alors que vous n’y avez ni attache personnelle ni lien familial ? C’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles, comme la presse l’avait d’ailleurs relevé, la participation des détenus a été aussi faible lors des élections présidentielle et législatives de 2012 : aux alentours de 5 % seulement.
Ma troisième et dernière observation est une exhortation : nous devons – et nous en sommes tous d’accord – « sortir la prison de son enfermement », si vous me permettez l’expression.
Jusqu’à présent, la vie derrière les barreaux est gérée « en circuit fermé », entre le ministère de la justice et les équipes de chaque établissement, avec seulement, de temps à autre, un coup de projecteur médiatique sur quelques problèmes récurrents comme la surpopulation carcérale, les suicides, l’insuffisante prise en charge des détenus et la récidive qu’elle induit.
Or, à partir du moment où la politique pénitentiaire est un élément structurant de régulation sociale, ces questions relèvent d’une responsabilité collective.
Une bonne mise en œuvre de la loi pénitentiaire dans tous ses objectifs doit mobiliser l’ensemble des acteurs publics et de la société civile, les services publics et les collectivités locales, les personnels de santé, les entreprises, les associations, notamment.
C’est, à mon avis, le seul moyen pour que la privation de liberté ne provoque pas une rupture totale des liens entre la personne en prison et son environnement social et familial, avec les conséquences que nous connaissons et que Jean-René Lecerf va développer. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le président de la commission sénatoriale pour l’application des lois, mes chers collègues, en juillet 2012, Nicole Borvo Cohen-Seat et moi-même présentions un rapport d’information sur l’application de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009.
Écrit à quatre mains, ce rapport nous engage l’un comme l’autre de la même manière, ce qui lui donne sans doute une autorité renforcée. N’est-ce pas un atout supplémentaire du Sénat, assez ancré me semble-t-il dans la culture de la Haute Assemblée, que de parvenir à des propositions consensuelles dont nous nous étions d’ailleurs entretenus avec vous, madame la ministre, peu de temps après votre arrivée à la Chancellerie ?
Dans ce contrôle de l’application de la loi pénitentiaire près de trois ans après la promulgation de ce texte, dans l’exercice de cet indispensable « service après vote », nous regrettions, c’est vrai, les retards dans la prise d’un certain nombre de textes d’application.
Apparemment, rien n’a changé, madame la ministre, mais j’espère que vous aurez de bonnes nouvelles à nous apporter !
Nous attendions un décret sur les règlements intérieurs types par catégorie d’établissement pénitentiaire. En effet, d’une prison à l’autre, les régimes de détention peuvent beaucoup varier selon la personnalité du chef d’établissement, l’histoire ou la culture locale. Il en résulte des différences de traitement ressenties, notamment à l’occasion d’un transfert, comme une forme d’arbitraire. Nous attendons toujours !
De même, le législateur avait souhaité la mise en place d’une évaluation indépendante des taux de récidive par établissement pour peine. Nous attendons encore ! Il ne s’agissait pas d’instaurer je ne sais quel hit-parade des meilleures prisons. Ce que nous voulions, c’est tout simplement disposer d’éléments d’appréciation des conditions de détention et de leurs effets sur la récidive et sur la réinsertion. Cela nous permettrait, par exemple, de formuler des jugements plus objectifs sur des initiatives particulièrement intéressantes comme la prison ouverte de Casabianda et de savoir s’il convient ou non de développer ce type d’innovation.
Timidement, la loi pénitentiaire instaurait, en outre, une consultation des détenus sur les activités qui leur sont proposées. Je sais que ce thème vous intéresse, madame la ministre, mais, sur ce point aussi, l’attente continue.
En outre, d’autres dispositions font l’objet d’une application que l’on peut qualifier de trop mesurée, pour ne pas dire d’évanescente.
Il en va ainsi de l’obligation d’activité. Difficilement imposée par le Sénat, elle fait aujourd’hui l’objet d’un vaste consensus, mais sa généralisation exige une volonté politique sans faille. Dans l’esprit du législateur, elle consiste essentiellement dans un travail carcéral ou une formation professionnelle garante des meilleures chances de réinsertion.
Des initiatives innovantes ont été prises – mise en place, ici, d’une plate-forme de tri sélectif des déchets, là, d’un centre d’appel, ou encore d’une liaison avec le monde de l’entreprise et de l’artisanat –, mais bien des efforts restent à accomplir.
Nicole Borvo Cohen-Seat et moi-même avions suggéré, par exemple, que, même dans les établissements privés, les chefs d’établissement s’impliquent dans la prospection d’entreprises concessionnaires auprès des chambres de commerce et d’industrie, des chambres de métiers et du patronat local, car leur rôle est irremplaçable.
Nous demandions que l’on soit très vigilant, dans les nouveaux établissements, aux locaux et aux ateliers adaptés au développement d’activités. C’est souvent le cas, mais pas toujours.
Nous demandions aussi que l’on concrétise enfin la promesse faite par vos prédécesseurs, madame le ministre, d’instaurer une priorité pour les productions des établissements pénitentiaires dans le cadre des marchés publics, ce qui impose, on le sait, une innovation en matière règlementaire.
S’agissant de la formation professionnelle des personnes détenues, nous pensons que celle-ci gagnerait à être confiée aux régions. Or l’expérimentation souhaitée au travers de la loi pénitentiaire s’est heurtée à un obstacle imprévu : la nécessité d’indemniser les partenaires privés des établissements en gestion déléguée compétents en matière de formation. Il importe de modifier les cahiers des charges à cet égard.
Je voudrais maintenant aborder un point très sensible, encore exacerbé par l’évasion récente de la maison d’arrêt de Lille-Sequedin : le régime des fouilles, qui représente un sujet de crispation majeure avec les personnels de surveillance.
S’il a interdit les fouilles corporelles internes, sauf autorisation d’un magistrat et réalisation par un médecin extérieur à l’établissement, le législateur n’a pas interdit les fouilles intégrales, mais seulement leur caractère systématique.
Ces fouilles doivent être justifiées par la présomption d’une infraction ou par les risques que le comportement des personnes détenues fait courir à la sécurité des personnes et au maintien du bon ordre.
Ces dispositions de nature à protéger la dignité de chacun et à limiter le risque suicidaire, si préoccupant dans notre pays, doivent être maintenues et appliquée. Vos co-rapporteurs estimaient que l’indispensable conciliation des principes de sécurité et de respect de la dignité imposait le recours à des portiques à ondes millimétriques permettant de visualiser les contenus des corps et de repérer la présence à la fois d’objets dangereux et de substances illicites, sans que la personne détenue ait besoin de se dévêtir, à l’instar de ce qui existe dans nombre d’aéroports.
Que l’on arrête, madame le ministre, de nous dire que ces scanners corporels coûtent trop cher ! Le prix de 150 000 euros, dont le montant serait revu à la baisse si l’administration pénitentiaire en acquérait le nombre nécessaire, ne correspond qu’à peine au prix d’une place de prison supplémentaire.
En outre, on sait bien que c’est par les projections qu’atterrit dans les cours de promenade l’essentiel des objets les plus dangereux. Il faut à la fois multiplier et élever des filets de protection, et donner des consignes strictes aux forces de l’ordre, police et gendarmerie, pour opérer aux heures de promenade les surveillances nécessaires et les arrestations indispensables.
Enfin, à lire certains journaux, on pourrait croire que l’on s’évade avec une extrême facilité des prisons de la République, alors qu’elles sont, sur ce point, parmi les plus sûres de la planète. Je suis, pour ma part, toujours étonné, au sens ancien du terme, de la disproportion des réactions médiatiques que suscitent, d’un côté, cent suicides, de l’autre, une seule évasion.
Pour lutter contre la surpopulation carcérale et permettre d’aller vers l’encellulement individuel qui, seul, limitera le caïdat, l’exploitation des plus faibles et la présence trop fréquente, dans les prisons, de lieux de non-droit, la loi pénitentiaire a posé deux principes fondamentaux.
En matière correctionnelle, et en dehors des condamnations en récidive légale, une peine d’emprisonnement ferme ne peut être prononcée qu’en dernier recours. Lorsqu’une telle peine est prononcée, elle doit, si la personnalité et la situation du condamné le permettent, faire l’objet d’un aménagement de peine.
L’étude d’impact annexée à la loi pénitentiaire estimait cependant nécessaire de réduire de 80 à 60 le nombre de dossiers suivis par chaque conseiller d’insertion et de probation, ce qui supposait la création de 1 000 postes supplémentaires.
Nous en sommes bien loin. Dans ces conditions, la nécessaire diversification des aménagements de peines n’a pu s’opérer.
Si le placement sous surveillance électronique s’est développé dans des proportions considérables, ce ne fut le cas ni du placement à l’extérieur, ni de la semi-liberté, ni de la libération conditionnelle, qui constituent pourtant les mesures à la fois les plus adaptées aux personnes les plus vulnérables et les plus efficaces pour lutter contre la récidive.
Permettez-moi de rappeler avec force que, de la même manière qu’une politique pénitentiaire ne saurait se réduire à l’évolution des capacités de détention, la politique d’aménagement de peine ne se résume pas à l’augmentation du nombre de bracelets électroniques.
Pardonnez-moi aussi de ne pas recenser tout ce qui donne largement satisfaction parmi les innovations de la loi pénitentiaire : la présence des assesseurs extérieurs à l’administration, auxquels nous souhaiterions conférer une voix délibérative dans le cadre de la procédure disciplinaire ; l’attention renouvelée aux liens familiaux, avec la multiplication des unités de vie familiale et des parloirs familiaux...
Notre rôle n’est-il pas davantage d’insister sur ce qui pose problème ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est bien dommage !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous souhaitions, encore, une meilleure prise en compte de la maladie mentale en prison, qui pourrait commencer par l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale de la proposition de loi, adoptée par le Sénat à la quasi-unanimité le 25 janvier 2011, contre l’avis du Gouvernement, relative à l’atténuation de responsabilité pénale applicable aux personnes atteintes d’un trouble mental ayant altéré leur discernement au moment des faits, tout en renforçant leurs obligations de soins.
Enfin, permettez-moi, madame le ministre, de redevenir un instant sénateur du Nord pour vous rappeler que se trouve, dans les deux départements de la région Nord-Pas-de-Calais, le tiers des matelas à terre des prisons de la République. C’est dire le caractère insupportable, dans le Nord, de la surpopulation carcérale, ce qui explique aussi en partie l’affaire de Sequedin.
Si vous pouviez accélérer, madame le ministre, la décision indispensable de reconstruction de la prison de Loos-lez-Lille, votre décision serait unanimement appréciée.
Mes chers collègues, lors de la discussion générale qui ouvrait les débats sur le projet de loi pénitentiaire, j’avais confié que si cette loi était un échec, ce serait la pire déception de mon mandat de sénateur. Notre ancien et illustre collègue Robert Badinter m’avait quelque peu rassuré, en déclarant à la fin de nos travaux sa conviction qu’il s’agissait d’une grande loi marquant le moment où l’état de droit aura cessé d’être seulement une référence pour devenir une réalité dans l’univers carcéral.
Je sais bien que le combat est loin d’être terminé pour que nos prisons cessent à tout jamais d’être cette « humiliation pour la République » que vous dénonciez, cher Jean-Jacques Hyest, voilà treize ans, lorsque nous entrions dans le XXIe siècle. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.
M. Jacques Mézard, président du groupe du RDSE. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, la privation de liberté ne peut, et ne doit jamais, se traduire par le retrait des droits fondamentaux de la personne humaine.
La question pénitentiaire a toujours constitué une préoccupation forte pour le groupe que j’ai l’honneur de présider, soucieux en toutes circonstances de défendre la dignité de la personne humaine, et ce quels que soient les individus et leur parcours.
Je rappelle à la Haute Assemblée que notre groupe avait pris l’initiative en 2000, sous l’impulsion du président Guy-Pierre Cabanel, de la création de la commission d’enquête sur les prisons. Le sous-titre de son rapport, « Une humiliation pour la République » – je salue, à cet égard, le travail accompli alors par Jean-Jacques Hyest ! –, en disait long sur l’état catastrophique de nos établissements pénitentiaires, laissés pendant des décennies en déshérence par les pouvoirs publics, quelle que soit la sensibilité des gouvernements en place.
Ce choc pour l’opinion publique et les politiques fut-il pour autant salutaire ? Sur la base du constat que nous faisons, nous sommes, hélas ! plutôt pessimistes.
Je tiens à saluer, à ce stade de mon intervention, ceux qui ont accompli ce travail, le président Jean-Jacques Hyest, mais aussi Jean-René Lecerf, qui – je le dis avec beaucoup de conviction – a mis ses qualités intellectuelles et humaines au service d’une grande cause, pour faire une grande loi.
Vous comprendrez donc qu’il était pour nous évident de demander que se tienne aujourd’hui, devant le Sénat, ce débat sur la politique pénitentiaire, à la fois pour que soit dressé un bilan des travaux menés ces dernières années – il serait injuste de dire que rien n’a été fait ! –, en particulier depuis l’adoption de la loi pénitentiaire, et pour que vous nous présentiez, madame le garde des sceaux, les orientations que vous souhaitez mettre en œuvre.
Avec près de 67 000 détenus au 1er mars dernier, la surpopulation carcérale continue d’être la règle. Entre le 1er janvier 2002 et le 1er janvier 2012, le nombre de personnes placées sous écrou est passé de 48 594 à 73 780, soit une hausse de 52 %, et le nombre de personnes détenues de 48 296 à 64 787, soit un accroissement de 34 % : le taux de détention est ainsi passé de 79 pour 100 000 habitants voilà dix ans, à 99 pour 100 000 en 2012. Enfin, le taux moyen d’occupation de nos prisons – vous le savez mieux que quiconque, madame le garde des sceaux – atteint 118,8 %.
Il est indéniable que le phénomène a pris une ampleur particulièrement inquiétante depuis plusieurs années. La population carcérale est aujourd’hui très largement supérieure aux capacités d’hébergement des 191 établissements pénitentiaires français et de leurs 57 000 places. Les chiffres de la densité carcérale illustrent ce constat : 12 établissements ou quartiers ont une densité supérieure à 200 %, et 31 une densité comprise entre 150 % et 200 %.
Ce phénomène n’est certes pas spécifiquement français. Nos voisins, l’Italie et la Belgique, connaissent des taux d’occupation comparables, mais ce n’est ni une référence ni une satisfaction.
Dès 1999, la recommandation n° 22 du comité des ministres du Conseil de l’Europe constatait déjà que la surpopulation carcérale constituait « un défi majeur pour les administrations pénitentiaires et l’ensemble du système de justice pénale ». Pour autant, la construction de nouveaux établissements pénitentiaires, lancée depuis quelques années, ne s’est pas traduite par la disparition de la surpopulation carcérale. En effet, construire de nouveaux établissements et augmenter considérablement, dans le même temps, le nombre de peines de prison ferme, c’est une course à la mer qui ne prend, hélas ! jamais fin.
Les maisons d’arrêt en sont les principales victimes, avec un taux moyen d’occupation de 135 %. Ce taux s’élève même, pour l’une d’entre elles, à 306 %. Pour celle de Béthune, il est de 246 % ... je ne multiplierai pas les exemples, car vous connaissez ces chiffres tout comme moi.
Les conséquences de cette situation sont inacceptables, unanimement réprouvées, comme ne manque pas de le répéter le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, auquel je tiens à rendre ici un hommage particulier pour l’immense qualité de son travail et pour son courage. Il serait très important, madame le garde des sceaux, que nous tenions tous compte des conclusions figurant dans son rapport annuel.
Ce qui figure dans ce rapport d’activité est édifiant. Qui peut encore faire comme si cela n’existait pas ?
L’article 1er de la loi pénitentiaire de 2009 résume en quelques mots ce sur quoi nous sommes presque unanimement d’accord : « Le régime d’exécution de la peine de privation de liberté concilie la protection de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime » – il ne faut jamais oublier les victimes – « avec la nécessité de préparer l’insertion ou la réinsertion de la personne détenue [...] et de prévenir la commission de nouvelles infractions ». Tout est dit.
Or, après une visite à la prison des Baumettes, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté évoquait de nouveau « une violation grave des droits fondamentaux, notamment au regard de l’obligation, incombant aux autorités publiques, de préserver les personnes détenues, en application des règles de droit applicables, de tout traitement inhumain et dégradant ». Comment parvenir à réinsérer avec des traitements inhumains et dégradants ?
Ces violations, nous les connaissons : la promiscuité et l’absence d’intimité, qui obligent – Jean-René Lecerf vient de le rappeler – des détenus à dormir par terre, l’insalubrité, avec des conditions d’hygiène dignes d’un autre siècle, l’oisiveté forcée, la non-application du droit du travail pénitentiaire, l’utilisation abusive et humiliante des fouilles malgré leur strict encadrement – là encore, Jean-René Lecerf a très clairement réaffirmé ce qu’il convenait de faire, tout en préservant bien évidemment la sécurité des agents de l’administration –, le développement des pathologies, en particulier mentales – la question de la psychiatrie en prison est prégnante.
M. Jacques Mézard. Il s’agit là d’un problème tout à fait fondamental auquel nous devons nous attaquer pour de bon, car la situation est intenable pour tout le monde.
Tous ces éléments combinés aboutissent à générer de la violence, dont sont victimes à la fois les détenus et les personnels de l’administration pénitentiaire qui accomplissent – là aussi, nous le savons tous – leur travail dans des conditions particulièrement éprouvantes.
Madame la garde des sceaux, il faut passer aux actes, et je sais pouvoir compter sur votre détermination ; nous la connaissons.
Vous avez dévoilé le 9 janvier dernier à Marseille votre vision d’une politique pénitentiaire rénovée, incluant des « projets immobiliers pensés et des peines efficaces, générant de la sécurité ».
Nous en sommes arrivés à cette situation pour des raisons à la fois structurelles et conjoncturelles : structurelles, car la peine privative de liberté demeure la peine de référence de notre droit pénal, la moitié des condamnations délictuelles comportant encore une peine de prison, ferme ou avec sursis ; conjoncturelles, car nous payons aussi aujourd’hui la facture d’une politique pénale menée ces dernières années qui ne s’est jamais interrogée, ou pas suffisamment, sur le sens profond de l’emprisonnement. La volonté incantatoire de combattre l’insécurité s’est ainsi traduite, à partir de 2002, par la mise en œuvre d’une politique pénale essentiellement répressive, dictée trop souvent par les faits divers – nous l’avons tous souligné ici. Légiférer par l’émotion n’a jamais été une façon d’élaborer de bonnes lois.
De nombreux éléments ont contribué à cette politique hémiplégique, qui a oublié que l’aspect préventif participait de la lutte contre la délinquance : correctionnalisation croissante des infractions, développement de la comparution immédiate, durcissement de la répression de la récidive et des circonstances aggravantes, affaiblissement du volet préventif de la justice des mineurs. Deux mesures sont à cet égard particulièrement symboliques de ce populisme pénal : les peines planchers et la rétention de sûreté.
N’oublions pas non plus les 30 000 places de prison que l’ancien président de la République souhaitait faire construire d’ici à 2017 dans des établissements de 600 à 800 places, alors que ces programmes immobiliers trop importants entraînent, nous le savons tous, des difficultés particulières en matière de gestion.
Sur le plan de la politique pénitentiaire, la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 était porteuse de nombreuses promesses, à contre-courant du climat ultra-sécuritaire qui prévalait alors. Le Parlement avait bien travaillé, dans un esprit consensuel. Ce texte est un cadre de référence pour l’ensemble de tous les acteurs de la chaîne pénale.
Nous souhaitons donc aujourd'hui que cette loi, quatre ans après son adoption, atteigne ses objectifs. Y a-t-il eu manque de moyens, manque d’ambition ? Je ne reviendrai pas sur les conclusions de l’excellent rapport d’information de Nicole Borvo Cohen-Seat et de Jean-René Lecerf. Tout y est, madame la garde des sceaux : de la sagesse, des propositions.
Nous savons que cela ne se fera pas en un jour, cela demande du temps. Cela suppose en revanche une volonté et des objectifs et, madame la garde des sceaux, c’est ce que nous attendons de vous.
Je conclurai en vous invitant à réfléchir sur les propos d’un détenu recueillis dans D’une prison, l’autre, documentaire tourné en 2009 : « La prison n’est qu’un reflet démesurément grandi de la société qui produit ceux qu’elle incarcère. »