lundi 10 février 2025

L’extension progressive des objets du contrôle de la psychiatrie

 

L’extension progressive des objets du contrôle de la psychiatrie

 

Par Eric Pechillon, Professeur de droit public, Université Bretagne Sud, Lab-LEX (UR 7480)

 

L’extension progressive des objets du contrôle de la psychiatrie est d’abord et avant tout le résultat chaotique d’initiatives individuelles de patients et d’associations de patients qui, malgré l’incertitude des recours liée à la complexité de notre système juridique et juridictionnel, ont fait le choix d’emprunter la sinueuse voie contentieuse pour que la lumière soit enfin braquée sur leur sort et qu’un regard extérieur vienne analyser les mécanismes à l’œuvre dans les services psychiatriques. Ce mouvement d’extension ne révèle donc pas un choix courageux des pouvoirs publics (législateur ou gouvernement), lesquels auraient, de manière réfléchie et concertée, décidé de garantir les droits des personnes prises en charge par les services de psychiatrie et/ou de définir un régime juridique adapté aux particularités des soins psychiatriques. La psychiatrie, en particulier la psychiatrie publique, est en effet une discipline complexe qui souffre depuis l’origine[1] d’une « sorte d’artisanat, qui tente de concilier, au sein de pratiques singulières, des théories fort différentes »[2] et qui « remanie sans cesse ses théories, ses pratiques et son champ d’intervention »[3].

Si l’on peut parler d’un résultat chaotique, ce n’est pas du fait du caractère désordonné des recours formés mais de la glorieuse incertitude de la roulette contentieuse. Faute de pouvoir s’appuyer sur un corpus juridique stable, les demandes de contrôle prennent aujourd’hui un nouvel essor grâce au travail du CGLPL qui, avec constance, a alerté sur les conditions matérielles de séjour et sur le pragmatisme quotidien des équipes. Sur ce point, on se reportera avec intérêt à la situation décrite par M. Bellahsen durant la crise Covid ayant conduit à durcir de manière excessive les pratiques dans les services psychiatriques[4].

L’examen des recours formés par les patients fait apparaître un trait commun qui dépasse les situations individuelles à l’origine des contentieux. L’appel aux « contrôleurs »[5] est, avant tout, une volonté de médiatiser le rapport de force qui oppose le « corps psychiatrique » aux « corps des psychiatrisés »[6] et de questionner les limites et les formes du soin psychiatrique. En actionnant les diverses voies de recours juridictionnels qui lui sont offertes, le patient entend faire valoir l’ensemble de ses droits (de personne humaine, de justiciable, d’usager, de citoyen…) mais aussi dénoncer un système absurde qui conduit à accorder un pouvoir décisionnel à une « institution totalitaire »[7] sans en avoir préalablement défini les limites et les fonctions. Pour qu’un contrôle soit pertinent et efficace, il faut que le contrôleur puisse vérifier le respect d’une norme préexistante et qu’il dispose d’une mission précise s’appuyant sur une grille d’évaluation objective afin de pouvoir mesurer le décalage entre le comportement souhaité du « contrôlé » et la situation analysée. Chaque contrôleur s’inscrit donc dans un cadre limité par sa fonction. Le juge, par exemple, ne contrôle que le respect de la règle de droit.

Pour prendre un premier exemple permettant d’illustrer la manière dont la lumière extérieure pénètre dans les couloirs des services psychiatriques et dont le contrôle des mesures de police des malades mentaux est passé d’une zone de sous-droit à un terrain de guérilla juridique, il suffit de revenir sur la loi du 5 juillet 2011 « relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge ». Rappelons qu’au moment du dépôt du texte devant le Parlement, le gouvernement n’avait absolument pas l’intention d’aboutir à une judiciarisation du recours à la contrainte ni d’organiser un contrôle systématique des décisions individuelles d’enfermement[8]. Il n’avait pas non plus pour objectif d’organiser un grand débat national permettant d’adopter un cadre juridique adapté aux soins psychiatriques et de protéger les patients. Cette grande loi est pourtant nécessaire et attendue depuis 1838. Au contraire, comme c’est souvent le cas, le projet initial visait à renforcer le cadre juridique du seul recours à la contrainte au nom de la sécurité après plusieurs faits divers largement médiatisés et instrumentalisés comme les drames de Pau[9] et de Grenoble[10]. Le projet de loi, largement sécuritaire, visait surtout à renforcer la surveillance des patients (pour ne pas dire leur fichage) et à faire peser sur les psychiatres une part de la responsabilité des actes commis par certains patients. La solution envisagée était alors de créer une forme de « casier psychiatrique » permettant aux préfets de connaitre la « dangerosité supposée » de patients (en particulier les irresponsables pénaux et ceux ayant séjourné en UMD) et d’exiger des mesures coercitives de suivi par une remise en cause des « sorties thérapeutiques » tout en facilitant le recours à la contrainte (péril imminent et SDTU), au besoin par l’instauration d’un programme de soins. La philosophie de ce texte conduisait à stigmatiser certains patients mais aussi le prétendu laxisme des équipes soignantes accusées de faire courir un risque à la population en usant de méthodes thérapeutiques peu adaptées à la protection de l’ordre public et donc aux missions d’exécution des mesures de police administrative à l’origine de l’hospitalisation. A aucun moment, il ne fut vraiment question de définir des normes pour encadrer l’efficacité et encore moins la qualité des soins prodigués. L’esprit du texte avait été clairement résumé par le discours tenu par le Président de la République à Anthony le 2 décembre 2008[11].

« Alors à mes yeux, ces faits divers ne remettent nullement en question votre compétence, votre dévouement, et les services que vous rendez à la société. Mais ces faits divers doivent nous interroger tous, moi compris, sur les lacunes que peut révéler notre système d’organisation et de fonctionnement de la prise en charge. Surtout lorsque des drames ne peuvent pas être imputés à la seule fatalité. La fatalité… C’est vraiment la maladie de notre temps, de tout expliquer par la fatalité : tout, la crise, les problèmes. Non, c’est trop simple. On ne peut pas, on ne peut pas simplement dire : c’est la fatalité. Ou alors pourquoi être responsable ? […] « La création d’unités fermées et de chambres d’isolement supplémentaires est une mesure dont je veux souligner l’importance. Ce n’est pas à vous que je vais apprendre que certaines personnes malades sont plus agressives que d’autres ; que certains patients ne sont pas faits pour l’hospitalisation conventionnelle sans pour autant relever des unités pour malades difficiles. Il manque, entre les deux, une prise en charge intermédiaire. Et c’est précisément ce vide que viendront combler les unités fermées des chambres d’isolement ». […] « Alors nous allons d’abord instaurer une obligation de soins en milieu psychiatrique. 80 % de vos patients sont pris en charge en ville. De même qu’il existe l’hospitalisation sans consentement, il faut qu’il y ait des soins ambulatoires sans consentement. C’est l’intérêt même du patient et de sa famille. L’obligation de soins doit être effective même en cas d’absence ou de défaut de la famille. On ne peut pas laisser seul un patient qui a un besoin manifeste de soins et qui peut, parfois, refuser de s’y soumettre ». […] « Les sorties de patients, absolument indispensables, doivent être davantage encadrées. La décision d’autoriser une personne hospitalisée d’office à sortir de son établissement ne peut pas être prise à la légère. Je ne dis pas qu’elle est prise à la légère. Mais enfin peut-on… ? (rumeur de désapprobation dans le public) Non, non, non, non, non. Vous savez, vous avez des convictions, j’en ai aussi. Et si j’ai envie de dire une chose et de ne pas aller un millimètre de plus, je n’irai pas. Je dis : la décision de sortie c’est une décision qu’on ne peut pas prendre à la légère ». […] « Je réfléchis à un système où le préfet doit prendre ses responsabilités. Pourquoi le préfet ? En tant que représentant de l’État. En matière de sortie : d’essai ou définitive, il doit y avoir un avis rendu par un collège de trois soignants : le psychiatre qui suit le patient, le cadre infirmier qui connaît la personne, ses habitudes, et un psychiatre qui ne suit pas le patient. Et les psychiatres libéraux doivent pouvoir en faire partie. L’exercice collégial est la clé de la réforme. Mais autant l’avis des experts est indispensable, mais je veux poser la question, les experts, et vous êtes des experts qui donnent leur avis, mais la décision, la décision, ce doit être l’État, ou dans certains cas la justice, pas l’expert ». […] « enfin, le Gouvernement s’assurera que les informations administratives sur les hospitalisations d’office soient partagées entre tous les départements avec un secret médical respecté de la façon la plus stricte ».

Cependant le projet de loi a connu une histoire singulière grâce notamment aux actions menées individuellement par trois patients qui, en usant des voies de recours à leur disposition, ont contraint le législateur à amender considérablement le texte en cours de discussion. Toutes les personnes s’intéressant à la psychiatrie connaissent ces trois références qui, par le hasard du calendrier, sont intervenues durant le débat parlementaire : CEDH, 18 novembre 2010, Baudouin c/ France (à propos du dualisme juridictionnel et du recours effectif contre les décisions d’hospitalisation sous contrainte à la demande du préfet)[12], Cons. const. 21 novembre 2010, n° 2010-71 QPC[13] (contrôle juridictionnel des décisions d’hospitalisation à la demande d’un tiers) et Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-135 QPC (contrôle juridictionnel des décisions d’hospitalisation d’office)[14].

C’est dans la précipitation et sans d’étude d’impact que le contrôle juridictionnel des décisions individuelles d’enfermement a donc été confié au juge judiciaire (en l’occurrence le JLD) afin non pas de renforcer les droits de la personne hospitalisée sous contrainte mais de se soumettre aux obligations constitutionnelles et conventionnelles imposées par de telles mesures. Pour des raisons de timing (obligation d’entrée en vigueur de la loi nouvelle avant le 1er août 2011) et de stratégie politique, cette loi bancale n’a pas été soumise au contrôle de constitutionnalité préalablement à sa publication. Avec le recul, ce fut sans doute une bonne chose car cela a permis de saisir par la suite le Conseil constitutionnel via différentes QPC portant justement sur les objets du contrôle. Trois décisions QPC méritent d’être rappelées car elles illustrent cette extension des objets du contrôle : Cons. const., 6 octobre 2011, 174 QPC[15] (à propos des arrêtés municipaux d’hospitalisation fondés sur la notoriété publique), Cons. const., 21 octobre 2011, 185 QPC[16] (à propos de la levée des hospitalisations des patients déclarés irresponsables pénaux) et Cons. const., 20 avril 2012, 235 QPC[17] (à propos des programmes de soins et des unités pour malades difficiles). Ces QPC ont alors conduit à une nouvelle réécriture de la loi avant la date du 1er octobre 2013.

Ce délai fixé par le Conseil constitutionnel aurait pu et dû permettre de remettre l’ouvrage sur le métier et de discuter enfin des fonctions, des objets et des missions de la psychiatrie. Ce ne fut malheureusement pas le cas. Le gouvernement n’a d’ailleurs pas préparé de projet de loi à cet effet, préférant susciter en urgence, durant l’été 2012, le dépôt d’une proposition de loi (donc sans étude d’impact) qui a conduit à l’adoption d’une réforme législative a minima le 27 septembre 2013 (sans saisine une nouvelle fois du Conseil constitutionnel). Sur ce point, le contrôle systématique à 12 jours (et non plus 15) est l’exemple topique de la manière dont se met en place progressivement le contrôle de la psychiatrie en France. Si l’on veut en dresser une cartographie rapide, on constatera qu’il y a effectivement une extension des objets du contrôle soumis au juge judiciaire mais que cette extension n’est pas totale (I) et surtout qu’elle ne prive pas le juge administratif de sa compétence pour contrôler l’organisation et le fonctionnement des services de psychiatrie (II).

I. Une extension insuffisante des objets du contrôle devant le juge judiciaire

Le contrôle systématique instauré par le législateur depuis 2011 marque incontestablement une progression par rapport à celui existant sous l’empire de la loi du 27 juin 1990[18] (loi provisoire pour une durée de 5 ans[19]) qui modernisait la loi du 30 juin 1838[20] devenue pour partie inconventionnelle, faute de garantir efficacement les droits des patients enfermés et d’avoir posé les bases minimales des conditions d’hospitalisation sous contrainte. En 1990, le législateur réorganisait les voies d’entrée en hospitalisation sous contrainte, notamment en cas d’urgence[21], instaurait les commissions départementales de contrôle[22] afin de questionner les pratiques locales et prévoyait la possibilité pour le patient de saisir le juge judiciaire s’il souhaitait contester le bien-fondé de l’hospitalisation[23].

La loi de 2011 modifie en partie les objets du contrôle en unifiant le contentieux des décisions individuelles d’enfermement et en les soumettant au contrôle systématique d’un juge si leur durée dépasse 15 jours[24] mais n’organise pas, loin s’en faut, un contrôle total de la psychiatrie (ce qui n’était pas, rappelons-le, l’objectif du législateur).

C’est en urgence et à l’initiative de la commission des lois du Sénat, suite à la décision de la CEDH de novembre 2010, que la loi de 2011 a décidé d’unifier le contentieux de la « légalité » des décisions individuelles d’hospitalisation complète en soins sous contrainte d’un patient dans un service de psychiatrie, y compris en Unités pour malades difficiles, au profit du juge judiciaire. Cette unification et la saisine automatique du JLD ont conduit à un abondant contentieux qui a, par effet de ricochet, progressivement élargi les objets du contrôle en exigeant une plus grande rigueur de la part non seulement des autorités administratives à l’origine de la décision privative de liberté, mais également des services de soins, désormais contraints de mieux justifier le bien-fondé de la mesure initiale et surtout de sa prolongation à l’issue de la période d’observation de 72 heures.

A plusieurs reprises, le tribunal des conflits a eu l’occasion de rappeler que « depuis l’entrée en vigueur de ces dispositions, la juridiction judiciaire est ainsi seule compétente pour apprécier non seulement le bien-fondé mais également la régularité d’une mesure d’admission en soins psychiatriques sans consentement et les conséquences qui peuvent en résulter ; que, dès lors, toute action relative à une telle mesure doit être portée devant cette juridiction à laquelle il appartient, le cas échéant, d’en prononcer l’annulation »[25]. A ce titre, il est parfaitement possible pour un patient d’obtenir devant le juge judiciaire le versement de dommages et intérêts pour les préjudices résultant d’une hospitalisation sous contrainte[26]. La Cour de cassation a ainsi estimé qu’une série d’illégalités externes ayant conduit à une hospitalisation de 4 mois et 19 jours pouvait engager la responsabilité de l’Etat pour un montant de 54 930 euros. En procédant de la sorte, le juge judiciaire a considéré non seulement qu’il n’était pas nécessaire de faire préalablement annuler l’arrêté préfectoral par le juge administratif mais également qu’il lui revenait bien de contrôler la légalité externe de ladite décision afin de déterminer la faute de l’administration.

L’élargissement est certes significatif mais il n’est pas pour autant complet. Prévu pour intervenir de manière automatique pour les hospitalisations complètes avant l’issue du douzième jour, le contrôle exercé par le juge judiciaire ne concerne pas, loin s’en faut, l’ensemble des prises en charge psychiatriques, notamment celles de courte durée ou les programme de soins. Le dispositif de contrôle systématique, pour des raisons essentiellement financières, ne traite qu’une part minime des soins psychiatriques sous contrainte et ignore totalement le sort des patients en soins dits libres. En effet, en 2011, le législateur a considérablement élargi la palette des mesures de contrainte, même de longue durée, en procédant à un changement de vocabulaire, qui permet désormais une prise en charge ambulatoire en complément de l’hospitalisation complète excluant expressément le contrôle systématique du JLD pour ce type de mesures. A la différence du dispositif de 1990 qui organisait l’« hospitalisation sans consentement », le Code de la santé publique organise désormais les « soins sans consentement »[27], y compris en dehors de l’enceinte hospitalière, ce qui n’est pas sans conséquence pour les patients et peut impacter lourdement leur vie quotidienne et l’exercice de leurs libertés.

Autre point important qui reste malheureusement trop peu analysé par le juge judiciaire depuis la réforme de 2011, c’est la confusion souvent faite entre « soins sous contrainte » et « soins sans consentement ». La problématique de l’incapacité à consentir aux soins est pourtant primordiale en la matière[28] et diffère largement entre les soins à la demande d’un tiers et les soins à la demande du représentant de l’Etat. Dans le premier cas, cette « incapacité à consentir en raison des troubles mentaux »[29] est une condition indispensable à la prise en charge. Dans le second, l’incapacité à consentir n’est pas une condition de l’admission et surtout il n’est pas possible de considérer qu’un patient admis en SDRE serait automatiquement « incapable » de consentir aux soins[30]. S’il ne consent pas à l’enfermement décidé unilatéralement par le préfet (il est effectivement privé unilatéralement de sa liberté), il doit être en mesure, lorsque son état le permet de refuser certains soins, comme les injections ou l’électroconvulsivothérapie[31] (qui suppose le consentement systématique du patient). La question se pose alors de savoir quel juge sera effectivement compétent pour contrôler la capacité à consentir d’un patient et sa volonté de ne pas se voir administrer un traitement[32]. Le pouvoir décisionnel des psychiatres mérite d’être discuté et même contrôlé par un juge et ce d’autant plus que les traitements médicamenteux sont souvent lourds et entrainent des effets importants sur les patients.

Ajoutons enfin que l’édifice législatif de 2011, complété par la loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020, portait une certaine ambiguïté dans laquelle de nombreux avocats se sont engouffrés pour tenter d’obtenir la mainlevée des mesures de contrainte en contestant la légalité du placement de certains patients en chambre d’isolement ou sous contention. Cette stratégie contentieuse a conduit le législateur à intervenir une nouvelle fois en urgence, de manière chaotique (cavaliers budgétaires[33] déposés par amendement et donc sans d’étude d’impact) avec la loi n° 2022-46 du 22 janvier 2022 renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique[34]. Cette loi étend encore une fois l’objet du contrôle effectué par le juge judiciaire mais fractionne encore un peu plus le contrôle de la psychiatrie en juridicisant les décisions médicales prises durant l’hospitalisation. Il est à noter que le juge judiciaire est désormais tenu de clairement distinguer entre la mainlevée de la décision d’hospitalisation et la levée de la décision du psychiatre. En effet « le contrôle juridictionnel du juge des libertés et de la détention sur une mesure d’isolement, distinct de celui de la mesure d’hospitalisation complète, est opéré au regard des seuls critères prévus à l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique »[35]. Il ne peut donc ordonner la mainlevée d’une mesure d’isolement en se fondant sur un vice de la décision initiale[36]. Cette position de la Cour d’appel de Versailles a été logiquement confirmée par la Cour de cassation[37]. En dehors des cas expressément prévus par le législateur, le juge judiciaire reste largement incompétent pour contrôler la légalité des pratiques et des décisions prises dans les services de psychiatrie, notamment pour les patients en soins dits « libres ».

II. La compétence de la juridiction administrative pour contrôler le service public de la psychiatrie

L’article L. 3216-1 du code de la santé publique donne uniquement compétence au juge judiciaire pour statuer sur la légalité tant externe qu’interne des décisions individuelles relatives à l’admission et au maintien du patient en soins sans consentement, quelle qu’en soit la forme, et certaines décisions médicales ainsi que pour statuer sur la réparation des dommages résultant pour le patient de ces décisions administratives ou médicales. Le juge administratif reste quant à lui compétent pour statuer sur les litiges relatifs aux patients en hospitalisation ou en soins ambulatoires libres ; il est également compétent pour statuer sur la légalité des actes réglementaires édictés dans le cadre des soins sans consentement.

Son contrôle s’exerce ainsi sur la légalité des dispositions du règlement intérieur des établissements. La Cour administrative d’appel de Bordeaux[38] a annulé les dispositions du règlement d’un établissement qui interdisait aux patients des services de psychiatrie « toutes relations de nature sexuelles ». Le juge a considéré que « l’ingérence dans l’exercice du droit d’une personne atteinte de troubles mentaux, hospitalisée sans son consentement, au respect de sa vie privée qui constitue une liberté individuelle et dont le respect de la vie sexuelle est une composante, par une autorité publique, ne peut être légale que si elle répond à des finalités légitimes et qu’elle est adéquate et proportionnée au regard de ses finalités » et que « l’interdiction en cause, qui s’impose à tous les patients de l’unité, quelle que soit la pathologie dont ils souffrent, son degré de gravité et pendant toute la durée de leur hospitalisation, présente un caractère général et absolu ; que le centre hospitalier n’invoque aucun élément précis relatif à l’état de santé des patients de cette unité et à la mise en œuvre de traitements médicaux qui justifierait une interdiction d’une telle portée ; que, telle que formulée dans le règlement de fonctionnement de l’unité Verneuil, l’interdiction en cause impose à l’ensemble des patients de cette unité une sujétion excessive au regard des stipulations de l’article 8 de la convention européenne des sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et des dispositions précitées de l’article L. 3211-3 du code de la santé publique ». Comme le rappelait fort justement le rapporteur public dans cette affaire, la « solution de commodité pour la direction […] ne coïncide pas forcément avec la légalité »[39]. Sur ce point, les méthodes de contrôle de la légalité des décisions administratives opérées par le juge administratif permettent de garantir que les services de psychiatrie ne sont pas contraires aux impératifs de l’État de droit.

Au-delà des décisions réglementaires, la juridiction administrative est également compétente pour contrôler les décisions individuelles concernant le séjour des patients et leurs relations avec l’extérieur. Le Conseil d’État a ainsi l’occasion de rappeler que « la décision par laquelle un établissement public de santé refuse à un tiers le droit de rendre visite à une personne hospitalisée sans son consentement a le caractère d’une mesure prise pour l’exécution du service public hospitalier qui ne porte pas atteinte à la liberté individuelle. Par suite, le juge administratif est compétent pour en connaître » [40]. Si la formule utilisée peut surprendre, il importe de retenir que le contrôle de la légalité des décisions individuelles (comme le refus d’une visite privée) sont bien des décisions administratives distinctes de la décision initiale d’hospitalisation dont le contrôle relève de la compétence des juridictions administratives. À ce titre, les services de psychiatrie sont tenus de respecter les grands principes du service public.

Le juge administratif est également compétent pour engager la responsabilité d’un établissement en cas de faute dans son organisation ou son fonctionnement. C’est ainsi que le tribunal administratif de Rennes[41] a considéré comme fautif un établissement public de santé mentale ayant intercepté et retenu des envois postaux adressés à un patient. Cette mesure prise pour l’exécution du service public hospitalier produit des effets juridiques à l’égard des usagers du service (en soins libres ou en soins contraints), mais également à l’égard des tiers (auteurs ou destinataires des courriers). Le tribunal administratif a considéré que l’établissement avait fait un usage disproportionné de son pouvoir discrétionnaire en contrariété avec les dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et à celles de l’article L. 3211-3 du code de la santé publique : « lorsqu’une personne atteinte de troubles mentaux fait l’objet de soins psychiatriques [sous contrainte], les restrictions à l’exercice de ses libertés individuelles doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées à son état mental et à la mise en œuvre du traitement requis. (…) En tout état de cause, elle dispose du droit (…) d’émettre ou de recevoir des courriers ».

La responsabilité pour faute d’un établissement est aussi retenue lorsque les conditions matérielles d’hospitalisation peuvent « être regardées comme excédant le niveau de souffrance inhérent à une telle mesure et, dès lors, attentatoires à sa dignité ». La Cour administrative d’appel de Marseille en a jugé ainsi en 2015 à propos du placement d’un patient dans une chambre d’isolement présentant « un réel état d’insalubrité du fait notamment de conditions d’hygiène insuffisantes ». La chambre « ne comportait pas de cabinet de toilettes ni de système d’aération », contraignant le patient à « faire ses besoins dans la chambre sur le sol ». Le juge souligne que le fait qu’il « n’existe aucune norme spécifique relative aux chambres d’isolement […] est sans influence sur l’obligation générale qui pèse sur les établissements de soins, et tout particulièrement sur ceux d’entre eux qui sont amenés à accueillir des patients fragilisés par des troubles mentaux, de respecter leur dignité et de veiller à ce que les modalités d’exécution des mesures de placement en chambre d’isolement ne les soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau de souffrance inhérent à toute mesure d’isolement non librement décidée »[42].

En conclusion, s’il est indéniable que les contrôles juridictionnels opérés en matière psychiatrique existent depuis quelques années, ils restent encore insuffisants par leur nombre. L’une des causes est sans doute liée au fait que les patients des services de psychiatrie sont relativement peu procéduriers et saisissent encore très peu les juridictions : les contentieux sont encore trop rares pour que les pratiques évoluent de manière significative comme dans d’autres services publics. Alors que l’on sait que le respect du droit progresse le plus souvent sous la pression de contrôles extérieurs, il faut sans doute regretter que les dispositions de l’article 719 du code de procédure pénale ne trouvent pas à s’appliquer dans les services de psychiatrie[43]. Plus les services habilités à user de la contrainte sont contrôlés et visités par des personnes extérieures, plus les conditions d’accueil et de prise en charge sont respectueuses des droits fondamentaux. Les services de psychiatrie reçoivent des personnes malades dont la dignité et l’intégrité doivent être respectées, y compris lorsqu’elles ont en soins dits libres. A ce titre, les services psychiatriques privés devraient tout autant être l’objet de contrôles réguliers.

 

[1] P. Pinel, Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, Brosson, 2e ed., 1809.

[2] J.-P. Salvarelli, « De quoi la psychiatrie est-elle le nom ? », L’information psychiatrique, 2013/1 (vol. 89), p.16.

[3] Ibid., p. 17.

[4] M. Bellahsen, Abolir la contention, Libertaria, 2023, not. p. 61 et s.

[5] Le terme de « contrôleurs » est ici entendu de manière générique et dépasse le simple contrôle juridictionnel.

[6] M. Bellahsen, op. cit., p. 32.

[7] E. Goffman, Asiles, études sur la condition sociale des maladies mentaux, Editions de minuit, 1968.

[8] É. Péchillon et S. Renard, « D’une loi mal pensée ne pouvait naître qu’un droit f(l)ou », RGDM
2022, n° 85, p. 15-28.

[9] Dans la nuit du 17 au 18 décembre 2004, un homme de 21 ans a tué au CHP de Pau avec un couteau une aide-soignante et une infirmière.

[10] Le 12 novembre 2008, dans le centre-ville de Grenoble, un étudiant était assassiné par un patient suivi par l’hôpital de Saint-Égrève.

[11] Allocution de Nicolas Sarkozy à Anthony, texte officiel du discours présentiel, Journal Français de psychiatrie, 2010/3, n°38, p. 25-27.

[12] CEDH, 18 novembre 2010, Baudouin c/ France, no 35935/03.

[13] Cons. const., 2010-71 QPC, 21 novembre 2010, Danièle S. :JCP. Adm., 2010, n° 49, p. 7-9, note N. Albert ; JCP G., 2010, n° 49, p. 2288, note C.-A. Dubreuil ; JCP G., 2010, n° 51, p. 2410, note D. de Béchillon ; LPA, 23 décembre 2010, n° 255, p. 5-10, note C. Castaing ; AJDA, 2011, p. 174-178, note X. Bioy ; RTDciv. : RTDCiv., janvier-mars 2011, n° 1, p. 101-103, note J. Hauser ; RDSS, 2011, n° 2, p. 304-311, note O. Reneaudie ; RFDC, 2011, n° 86, p. 298-303, note A. Pena ; D., 2011, p. 64, note R. Noguellou.

[14] Cons. const., 2011-135 QPC, 9 juin 2011, Jean Louis C. : JCP Adm., 2011, n°26, p.4-5, note E PECHILLON ; Constitutions, 2011-3, p. 400-403, note X. Bioy ; RTDCiv, 2011, p.514, note J. Hauser ; RFDC, 2011, p. 844-851, note X. Bioy.

[15] Cons. const., 2011-174 QPC, 6 octobre 2011 : Droit de la famille, décembre 2011, n° 12, p. 34-36,  note I. Maria ; DA, 2011, p.37-40, note C. Lantero ; JCP Adm., 2012, p. 32-36, note E. Péchillon ; Constitutions, janvier-mars 2012, n° 2012-1, p. 140-145, note D. Fallon.

[16] Cons. const., 2011-185 QPC,21 octobre 2011 :  Droit de la famille, décembre 2011, n° 12, p. 34-36, note I. Maria ; Constitutions, janvier-mars 2012, n° 2012-1, p. 140-145, note D. Fallon.

[17] Cons. const., 2012-235 QPC, 20 avril 2012 : DA,  2012, n° 6, p. 36-41, note C. Castaing ; JCP Adm. 2012, n° 26, p. 32-36, note E. Péchillon ; Droit de la famille, juillet-août 2012, n° 7-8, p. 1-2, note I. Maria ; LPA, 2012, n° 197, p. 13-14, note J.-E. Gicquel.

[18]Loi n° 90-527 du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospitalisation

[19] Art. 4. Loi 90-527 « Une évaluation des dispositions prévues par la présente loi devra être réalisée dans les cinq années qui suivent sa promulgation. Cette évaluation sera établie sur la base des rapports des commissions départementales prévues à l’article L. 332-3 du code de la santé publique ; elle sera soumise au Parlement après avis de la commission des maladies mentales ».

[20] Pour une lecture de ce texte fondateur : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/1838-06-30-Loi-Esquirol-sur-les-alienes-du-30-juin-1838

[21] CSP, anc. art. L. 333-2 : « A titre exceptionnel et en cas de péril imminent pour la santé du malade dûment constaté par le médecin, le directeur de l’établissement pourra prononcer l’admission au vu d’un seul certificat médical émanant éventuellement d’un médecin exerçant dans l’établissement d’accueil.

[22] CSP, anc. art. L. 332-3 et L. 332-4 : « La commission prévue à l’article L. 332-3 :1° Est informée, dans les conditions prévues au chapitre III du présent titre, de toute hospitalisation sans le consentement du malade, de tout renouvellement et de toute levée d’hospitalisation ; 2° Etablit chaque année un bilan de l’utilisation des procédures d’urgence visées aux articles L. 333-2 et L. 343 ; Examine, en tant que de besoin, la situation des personnes hospitalisées et, obligatoirement, celle de toutes personnes dont l’hospitalisation sur demande d’un tiers se prolonge au-delà de trois mois ; 4° Saisit, en tant que de besoin, le préfet ou le procureur de la République de la situation des personnes hospitalisées ; 5° Visite les établissements mentionnés à l’article L. 331, reçoit les réclamations des personnes hospitalisées ou de leur conseil, vérifie les informations transcrites sur le registre prévu à l’article L. 341 et s’assure que toutes les mentions prescrites par la loi y sont portées ; 6° Adresse, chaque année, le rapport de son activité au préfet et au procureur de la République et le présente au conseil départemental de santé mentale ; 7° Peut proposer au président du tribunal de grande instance du lieu de la situation de l’établissement d’ordonner la sortie immédiate, en les formes et modalités prévues à l’article L. 351, de toute personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans un établissement défini à l’article L. 331.

[23] CSP, anc. art. L. 351 : « Toute personne hospitalisée sans son consentement ou retenue dans quelque établissement que ce soit, public ou privé, qui accueille des malades soignés pour troubles mentaux, son tuteur si elle est mineure, son tuteur ou curateur si, majeure, elle a été mise sous tutelle ou en curatelle, son conjoint, son concubin, tout parent ou toute personne susceptible d’agir dans l’intérêt du malade et éventuellement le curateur à la personne peuvent, à quelque époque que ce soit, se pourvoir par simple requête devant le président du tribunal de grande instance du lieu de la situation de l’établissement qui, statuant en la forme des référés après débat contradictoire et après les vérifications nécessaires, ordonne, s’il y a lieu, la sortie immédiate »

[24] CSP, art. L. 3211-12-1 (durée réduite à 12 jours avec la loi de 2013).

[25] TC, 9 décembre 2019, M. H… c/ Centre hospitalier universitaire de Toulouse, n° 4174.

[26] C. Cass, 1ère civ., 17 octobre 2019, n° 18-16.837 : « que le préfet ne justifie pas de la compétence, par délégation, de l’auteur de l’arrêté du 9 octobre 2012, d’autre part, que cette décision, malgré l’annexion d’un certificat médical, ainsi que les arrêtés préfectoraux des 12 juin, 15 juin et 10 juillet 2012 sont rédigés en termes généraux ne permettant pas de s’assurer que la personne présentait des troubles mentaux nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l’ordre public ; qu’ayant ainsi caractérisé les irrégularités aux conséquences dommageables affectant ces décisions à l’origine des soins contraints, la cour d’appel en a exactement déduit que M. X… pouvait prétendre à l’indemnisation de l’entier préjudice né de l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée et Mme Y…, à l’indemnisation de son préjudice moral ; que le moyen, qui critique en ses deux premières branches des motifs surabondants, ne peut être accueilli ».

[27] CSP, art. L. 3211-1 : « une personne ne peut sans son consentement… faire l’objet de soins psychiatriques hormis les cas prévus par les chapitres II à IV du présent titre et ceux prévus à l’article 706-135 du code de procédure pénale » et art. L.3211-2-1 : « Une personne faisant l’objet de soins psychiatriques en application des chapitres II et III du présent titre ou de l’article 706-135 du code de procédure pénale est dite en soins psychiatriques sans consentement ».

[28] S. Renard, « Ce que consentir veut dire », Revue générale de droit médical, 2022, 85, pp.47-54.

[29] CSP, art. L. 3212-1 : « I.- Une personne atteinte de troubles mentaux ne peut faire l’objet de soins psychiatriques sur la décision du directeur d’un établissement mentionné à l’article L. 3222-1 que lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :1° Ses troubles mentaux rendent impossible son consentement ;2° Son état mental impose des soins immédiats assortis soit d’une surveillance médicale constante justifiant une hospitalisation complète, soit d’une surveillance médicale régulière justifiant une prise en charge sous la forme mentionnée au 2° du I de l’article L. 3211-2-1 ».

[30] CSP, art. L. 3213-1 : « I.- Le représentant de l’Etat dans le département prononce par arrêté, au vu d’un certificat médical circonstancié ne pouvant émaner d’un psychiatre exerçant dans l’établissement d’accueil, l’admission en soins psychiatriques des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public. Les arrêtés préfectoraux sont motivés et énoncent avec précision les circonstances qui ont rendu l’admission en soins nécessaire ».

[31] Ce type de traitement est pourtant mis en œuvre dans les services de psychiatrie, notamment dans les UMD, qui n’accueillent que des patients en SDRE (par exemple UMD de Cadillac : https://www.ch-cadillac.fr/structures/umd-ect-unit%C3%A9-delectro-convulsivo-th%C3%A9rapie-cadillac ).

[32] É. Péchillon, « Le pouvoir médical face au refus de consentement : un savant dosage effectué par le juge des référés », note sous TA Rennes, Mme A c. CHS Guillaume Régnier, 18 juin 2012, nº 1202373, La semaine juridique, édition administrations et collectivités territoriales, n° 40, 8 octobre 2012, chron. n° 2321.

[33] Cons. const., 16 décembre 2021, n° 2021-832 DC, cos. 25 et 26 : « 25. L’article 41 modifie les conditions dans lesquelles sont exécutées les mesures de contention ou d’isolement appliquées à des personnes hospitalisées sans leur consentement, et notamment les cas dans lesquels le juge des libertés et de la détention doit être saisi pour les renouveler au-delà de certaines durées. 26. Ces dispositions n’ont pas d’effet ou ont un effet trop indirect sur les dépenses des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées au paragraphe V de l’article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution ».

[34] On soulignera qu’après avoir tenté de glisser la disposition dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, la même disposition a été inscrite dans une loi bien éloignée de la psychiatrie sans que le cavalier législatif ait cette fois été retenu.

[35] CA Versailles, 20 août 2024, n°24/05638.

[36] « En l’espèce, ayant suivi l’argumentation de Mme [N] sur ce point, le juge des libertés et de la détention a, pour ordonner la mainlevée de la mesure d’isolement, retenu que les démarches de recherche et d’information de sa famille prévues à l’article L. 3212-1 du code de la santé publique n’étaient pas établies, le relevé de ces démarches figurant au dossier étant antérieur à l’admission. Mais un tel moyen ne peut être soumis au juge des libertés et de la détention qu’à l’occasion du contrôle systématique de la mesure d’hospitalisation complète qu’il opère, ou bien lorsqu’il est saisi à cet effet par la personne hospitalisée ; présenté à l’occasion d’un recours dirigé contre la seule mesure d’isolement, il est inopérant ».

[37] Civ. 1re, 25 sept. 2024, F-B, n° 23-12.515 : « Il résulte des articles L. 3222-5-1, L. 3211-12, L. 3211-12-1 et R. 3211-39 du code de la santé publique, qu’à l’occasion du contrôle systématique d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement prenant la forme d’une hospitalisation complète, d’une demande de mainlevée de cette mesure ou d’une saisine d’office, le constat, par le juge des libertés et de la détention, d’une irrégularité affectant une mesure d’isolement ou de contention ne peut donner lieu à la mainlevée que de l’une ou l’autre de ces dernières mesures ».

[38]CAA, Bordeaux, 6 novembre 2012, n° 11BX01790.

[39] Cf. les conclusions du rapporteur public sur cette affaire : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/IMG/pdf/2012-11-06caa-conclusions-rapporteur-public-caa-bordeaux.pdf

[40] CE, 26 juin 2015, n°381648.

[41] TA Rennes, 5 octobre 2017, R. contre CHS Guillaume Régnier, n° 1604957.

[42] CAA Marseille, 21 mai 2015, n° 13MA03115.

[43] Art. 719 code pénal : « Les députés, les sénateurs, les représentants au Parlement européen élus en France, les bâtonniers sur leur ressort ou leur délégué spécialement désigné au sein du conseil de l’ordre sont autorisés à visiter à tout moment les locaux de garde à vue, les locaux des retenues douanières définies à l’article 323-1 du code des douanes, les lieux de rétention administrative, les zones d’attente, les établissements pénitentiaires et les centres éducatifs fermés mentionnés à l’article L. 113-7 du code de la justice pénale des mineurs ».

 

Les soins psychiatriques pour le mineur : quel contrôle ?

 Article De Stéphanie Renard publié à la RDLF

https://revuedlf.com/personnes-famille/les-soins-psychiatriques-pour-le-mineur-quel-controle/  

Les soins psychiatriques pour le mineur : quel contrôle ?

 

Stéphanie Renard, maître de conférences HDR en droit public – Université Bretagne Sud, Lab-LEX (UR 7480)[1]

 

« L’enferment des enfants est toujours contraire à leur intérêt supérieur »

(CGLPL, Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, JO 4 juin 2020, texte n° 88, n° 8).

 

Existe-t-il un contrôle spécifique des hospitalisations psychiatriques des patients mineurs ? Au regard de leur vulnérabilité, la réponse à cette question semble relever de l’évidence. Pourtant, la spécificité ne se trouve pas là où, intuitivement, on chercherait à la voir. Soumis à des voies particulières d’entrée en hospitalisation psychiatrique mais ne bénéficiant pas d’un statut juridique clair, le patient mineur hospitalisé en psychiatrie ne dispose pas des garanties protectrices qui sont parallèlement reconnues aux majeurs[2].

Le premier objet d’étonnement est toutefois ailleurs. Il se situe dans un constat qui, si on le rapporte à la dégradation constante de la santé mentale des jeunes et à l’augmentation exponentielle du nombre d’hospitalisations les concernant[3], a quelque chose d’effrayant : la psychiatrie des mineurs n’intéresse pas – ou peu – les pouvoirs publics.

La manifestation la plus évidente de ce désintérêt se perçoit dans l’éparpillement des sources du droit qui encadre leur prise en soins. En dépit des réformes successives du droit de la santé mentale[4], en dépit également du regain d’intérêt récemment accordé au droit de la famille et à la protection des enfants[5], y compris contre leurs parents, la psychiatrie des mineurs est curieusement oubliée par le législateur, qui n’a jamais élaboré de statut spécifique des mineurs admis en soins psychiatriques.

« Ambigu et lacunaire »[6], le droit des mineurs admis en soins psychiatriques s’éparpille ainsi entre deux codes[7], le code civil[8] et le code de la santé publique[9], dont les dispositions éparses, adoptées à des époques différentes et dans des buts variés, manquent souvent de cohérence[10].

Or cette dispersion n’est pas compensée par la littérature grise et le droit souple. On connaît pourtant la gourmandise du ministère de la santé pour ces outils para-normatifs et sa capacité à les mobiliser pour assurer la régulation des soins, notamment de santé mentale. Elle est suffisante en tout cas pour qu’Olivier Renaudie y consacre un article récent reconnaissant la santé mentale comme un « laboratoire contentieux » du droit souple[11]. Rien de tel pour la santé mentale des mineurs et/ou leur enfermement psychiatrique, sujets qui font partie de ceux qui sont le moins travaillés et explicités par les autorités de tutelle[12].

Ces incohérences sont d’autant plus fortes que la psychiatrie des enfants et des adolescents, quoique fermement ancrée sur les droits de l’autorité parentale, s’est construite en marge du droit civil et du droit de la protection de l’enfance. Un exemple, éloquent : ce n’est qu’en septembre 2022, et par simple voie réglementaire, que, suivant les recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)[13], la minorité psychiatrique a été alignée sur la minorité civile, à l’occasion de la réforme des autorisations sanitaires entrée en vigueur le 1er juin 2023[14]. Jusqu’alors, la psychiatrie infanto-juvénile s’appuyait sur une distinction entre l’enfant « juridique » – soit le mineur âgé de moins 18 ans – et l’enfant « psychiatrique » – désigné comme celui de moins de 16 ans.

La distinction a été posée au moment de la sectorisation psychiatrique par une circulaire du 13 septembre 1961 relative à l’hospitalisation psychiatrique des enfants de moins de 16 ans[15]. Elle répondait alors à un impératif de protection des plus jeunes que le ministère de la santé publique et de la population souhaitait extraire des services accueillant des adultes.

Alerté, « à diverses reprises, sur les conditions parfois regrettables dans lesquelles est prononcée l’hospitalisation d’enfants de moins de seize ans dans des hôpitaux psychiatriques », laquelle était parfois « effectuée non dans des services spécialisés mais dans des services adultes », le directeur général de la santé publique relève les « inconvénients très graves » de cette situation « susceptible d’empêcher la guérison ou l’amélioration des troubles ». « Elle doit donc être systématiquement proscrite », indique-t-il. « Ce n’est que dans le cas où le maintien de l’enfant dans son milieu ferait courir un danger certain à son entourage que, faute de toute autre possibilité et à titre exceptionnel, le placement de l’enfant dans un service d’adultes pourrait être provisoirement envisagé. »[16]

Sa logique protectrice a toutefois été renversée à compter de 1972, la circulaire relative au programme d’organisation et d’équipements des départements en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales des enfants et adolescents posant l’âge maximal de 16 ans comme principe général de la psychiatrie infanto-juvénile[17].

« Face à un problème psychiatrique authentique et difficile on ne saurait considérer de limite d’âge inférieure pour la prise en charge de la population infantile. Pour les très jeunes enfants la seule question qui se pose est de réaliser la concertation nécessaire avec le pédiatre.

Par ailleurs, le sujet déjà suivi par une équipe infanto-juvénile pourra continuer de l’être s’il est besoin, jusqu’à l’entrée dans l’âge adulte, tout en retenant l’âge limite de seize ans comme principe général. »[18]

Depuis lors, ce seuil de la psychiatrie infanto-juvénile a conduit – et conduit encore – à hospitaliser les adolescents de seize ans, voire moins[19], dans des services généraux, largement occupés par des patients adultes – parfois très vieux – qui, pour la plupart, ne disposent ni d’une organisation dédiée à leur prise en charge, ni des moyens utiles à la scolarisation, à la protection et même aux soins des adolescents.

Bien connues, les conséquences de cette situation sont parfaitement résumées par le Rapport annuel d’activité 2022 de la CGLPL :

« Alors qu’est constatée l’inquiétante progression du nombre d’enfants et d’adolescents en proie à la maladie mentale, la pédopsychiatrie s’est enfoncée dans la crise […]. Il arrive, dans certains services psychiatriques, que le CGLPL découvre des gamins mélangés aux adultes, avec tous les périls qui peuvent en découler. D’autres, placés à l’isolement ou sous contention, c’est-à-dire, attachés par des sangles à un lit ou à une chaise, parfois sans possibilité d’appeler à l’aide. Quant aux autistes, faute d’institutions spécialisées, il est fréquent de les rencontrer, confinés, des années, en psychiatrie, où ils n’ont rien à faire. »[20]

Aussi cruelle soit-elle, cette peinture, réitérée cette année[21], n’a rien d’inédit. Au cours de la dernière décennie, elle a été précisément documentée par plusieurs rapports thématiques émanant du CGLP[22] et de la mission sénatoriale d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés[23]. On peine d’autant plus à comprendre qu’elle ait pu aussi longtemps être figée dans le marbre de la sectorisation et qu’elle n’ait toujours pas conduit à une réflexion globale sur le sens et les principes fondamentaux de la prise en charge psychiatrique des mineurs.

Si, en redessinant les périmètres de la psychiatrie de l’adulte et de la psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, la réforme récente présente le mérite de contraindre les équipes de psychiatrie infanto-juvénile à prendre en charge les patients mineurs jusqu’à leurs 18 ans, cette évolution n’a en effet été opérée que par voie réglementaire. Certes accompagnée d’une revalorisation des moyens consacrés à l’offre en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent[24], elle achoppe encore aujourd’hui sur l’insuffisance desdits moyens[25] et ne pourra sans doute rien à l’hospitalisation non programmée des patients mineurs dans des services d’urgence accueillant des adultes de tous âges et de tous horizons[26]. On est donc loin d’un principe clairement posé par la loi tel que recommandé par le Défenseur des droits pour interdire l’accueil des mineurs en unité pour adulte, sans exception possible[27].

Dans la même veine du désenchantement, on notera aussi que ce n’est qu’au printemps 2022, et par le biais d’un avis de la Cour de cassation[28], que les voies d’entrée en soins psychiatriques des mineurs et les modalités de leur contrôle ont été réellement clarifiées. Pourtant, ces voies d’admission – et la question de la contrainte psychiatrique pour les mineurs – étaient elles aussi à la source des difficultés dévoilées par la circulaire de 1961[29]. 1961… Ni les réformes successives de la psychiatrie, ni la rénovation de la protection de l’enfance de 2002[30], ni même les évolutions récentes de l’autorité parentale n’ont cherché à y remédier. L’avis rendu le 18 mai 2022 est donc particulièrement important. En lui-même, il atteste déjà du sérieux des difficultés posées par les règles d’admission des mineurs en psychiatrie. Sur le fond, il apporte un éclairage qui, en raison même de l’insatisfaction qu’il provoque, aurait dû conduire le gouvernement à s’emparer enfin de la question.

De cet avis, ressort en effet ce dont on se doutait déjà. Non seulement épars, le droit des mineurs admis en soins psychiatriques est aussi un droit qui, pétri par la chimère (I), maintient les soins hors contrôle (II).

I. Un droit pétri par la chimère

Mythique et monstrueuse, la chimère du droit des mineurs en psychiatrie se nourrit d’un leurre – celui de la pré-majorité sanitaire (A) – et se fonde sur une fiction – celle des soins libres (B).

A. Le leurre de la pré-majorité sanitaire

Présentée comme une consécration des deux « grandes » lois du 4 mars 2002, celle relative à l’autorité parentale[31] et celle relative aux droits des malades[32], la pré-majorité sanitaire ouvrirait au mineur une capacité décisionnelle anticipée sur sa majorité civile. Elle lui permet en effet de s’opposer à certaines interventions ou à l’utilisation de certains produits, lui offre quelques attributs du droit d’accès aux soins, lui accorde un droit à être informé et à participer aux décisions médicales « d’une manière adaptée à [son] degré de maturité »[33] et lui permet de demander le secret sur certaines informations ou sur certaines interventions[34].

En droit français, la pré-majorité sanitaire n’est pourtant qu’un leurre[35]. En effet, ses dispositifs jouent davantage un rôle de protection qu’une fonction d’autonomisation. C’est la vulnérabilité du mineur, perçue comme une faiblesse et un besoin de protection, qui trace entièrement les contours de son statut singulier, et non la reconnaissance de son droit ou de sa capacité à décider pour lui-même.

Cette idée est particulièrement bien illustrée en matière psychiatrique. Quoiqu’« associé » aux décisions de santé qui le concernent[36], le mineur n’a aucune maîtrise de son entrée en soins et encore moins de son hospitalisation. À ce niveau, les dispositions du code de la santé publique ne font d’ailleurs même plus l’effort de l’impliquer, même formellement, qu’il s’agisse de déterminer les modalités générales de son hospitalisation[37] ou de définir les conditions de son admission en soins psychiatriques.

L’article L. 3211-10 se borne ainsi à indiquer qu’« hormis les cas prévus au chapitre III du présent titre, la décision d’admission en soins psychiatriques d’un mineur ou la levée de cette mesure sont demandées, selon les situations, par les personnes titulaires de l’exercice de l’autorité parentale ou par le tuteur. En cas de désaccord entre les titulaires de l’exercice de l’autorité parentale, le juge aux affaires familiales statue. »

C’est plus généralement encore que l’article L. 3211-1 soumet les soins psychiatriques délivrés à une personne mineure à « l’autorisation de son représentant légal ».

La même remarque peut être faite concernant les admissions prononcées par le juge des enfants au titre de l’assistance éducative, hypothèse ignorée du code de la santé publique mais contenue par les articles 375, 375-3 et 375-9 du code civil. Le juge doit préalablement entendre le mineur au cours d’un entretien individuel, mais uniquement « s’il est capable de discernement lors de son audience ou de son audition » et sans que son avis n’influence la décision du juge de confier « le mineur […] à un établissement recevant des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux »[38].

De cela, résultent deux empêchements du patient mineur. Premièrement, le patient, même adolescent, ne peut accéder à des soins psychiatriques sans l’accord de ses parents ou, en dernier ressort, un appel au juge. Sans doute existe-t-il des mécanismes de sauvegarde dans l’hypothèse où le refus de soins des parents ou du tuteur « risque d’entraîner des conséquences graves pour la santé de l’enfant »[39]. Mais ces mécanismes, en plus d’être psychologiquement coûteux, sont aussi excessivement lourds. Ils obligent l’enfant à faire appel au médecin (quand ? comment ?) puis à demander au juge, s’il est saisi[40], une protection contre ses parents. Le dispositif, dédié à la protection des enfants, n’est pas fait pour assurer le droit d’accès aux soins des adolescents. On est très loin d’une pré-majorité sanitaire.

Deuxièmement, c’est le revers de la médaille, le mineur ne peut s’opposer à une hospitalisation demandée par ses parents, encore moins à celle ordonnée par le juge des enfants. Il n’est pas ou peu associé à la procédure et son consentement, qui n’est pas nécessaire, n’a même pas à être recherché. Le sort juridique en fait pourtant une admission volontaire conduisant à un régime de soins libres.

B. La fiction des soins libres

Quelles sont les voies d’entrée d’un mineur en soins psychiatriques ? Comme les majeurs, mais sans que le législateur ait jugé utile d’instaurer des contrôles spécifiques pensés au regard de leur vulnérabilité, les mineurs peuvent faire l’objet de soins sans consentement dans deux hypothèses clairement identifiées : une déclaration d’irresponsabilité prononcée par le juge pénal[41] ou une décision de soins adoptée par le représentant de l’État dans le département[42]. Pour le reste, l’admission est normalement décidée soit sur la demande conjointe des deux titulaires de l’autorité parentale (ou du tuteur), avec l’intervention possible du juge aux affaires familiales en cas de désaccord entre eux[43], soit sur ordonnance de placement du juge des enfants au titre des mesures d’assistance éducative[44].

C’est à l’occasion de l’hospitalisation d’une adolescente de 17 ans demandée par sa mère après un passage à l’acte suicidaire, et alors que la jeune fille était déjà soignée en clinique psychiatrique depuis plusieurs mois, que Pierre Ménard, alors juge des libertés et de la détention (JLD) au tribunal judiciaire de Vannes, a sollicité l’avis de la Cour de cassation évoqué plus haut. Seule demanderesse de l’hospitalisation de sa fille, la mère avait été invitée par l’établissement public de santé mentale (EPSM) à remplir un formulaire de soins sur demande d’un tiers. La démarche avait alors conduit le directeur de l’établissement à décider de l’admission en hospitalisation complète, puis à saisir le JLD en application de l’article L. 3211-12-1 du CSP. Doutant de sa propre compétence pour connaître de la situation, le JLD a posé la question suivante à la Cour de cassation : « L’article L. 3211-10 du code de la santé publique s’analyse-t-il comme interdisant toute mesure d’hospitalisation d’un mineur à la demande d’un tiers, ou limite-t-il la qualité de tiers demandeur aux seuls titulaires de l’autorité parentale ? »

À cette question, la Cour de cassation a apporté une réponse aussi claire que tranchée : les dispositions combinées du code de la santé publique et du code civil s’opposent à l’hospitalisation des mineurs sur demande d’un tiers. Lorsqu’elle est prononcée dans l’intérêt de l’enfant ou de l’adolescent, en effet, l’admission en soins psychiatriques ne relève pas d’un régime de soins contraints au sens des dispositions du code de la santé publique. Elle n’est donc pas soumise au contrôle du JLD, l’hospitalisation réalisée à l’initiative des parents suivant le régime des soins libres.

Cette affirmation repose sur les ressorts de l’autorité parentale[45] qui, sauf cas particulier, exclut que tout autre que les parents puissent agir pour le bien de l’enfant et dans son intérêt. Cette autorité, on le sait, soumet l’enfant à un régime de représentation s’analysant comme une substitution de volonté, les titulaires de l’autorité parentale agissant pour le compte de l’enfant et dans son intérêt. S’il y a faillite de ces derniers, c’est au juge des enfants (ou au Procureur de la République s’il y a urgence) de prendre le relais en prononçant les mesures d’assistance éducative qui s’imposent. Au besoin, ces mesures peuvent emporter l’admission du mineur dans un établissement de santé pour une durée de 15 jours, renouvelable plusieurs fois pour un mois. Mais même dans ce dernier cas, le régime des soins n’est pas celui prévu au code de la santé publique pour les soins sans consentement. Le juge des enfants agissant « en substitution des parents », il peut être considéré que son ordonnance « fournit le consentement à l’hospitalisation […] qui doit donc obéir aux règles de l’hospitalisation libre »[46]. Tout en reconnaissant l’indépendance de cette voie d’hospitalisation, qui est distincte de la procédure administrative confiée au préfet[47], la Cour de cassation n’en a pas expressément déterminé le régime. En tout état de cause, le code civil ne prévoyant que le seul contrôle du juge des enfants, celui du JLD est exclu tout comme sont écartées l’application des dispositions relatives à la période d’observation initiale et aux certificats des 24 et 72 heures (art. L. 3211-2-2) et les garanties prévues à l’article L 3211-3 du code de la santé publique.

Comme l’a notamment relevé le rapport de la mission d’information du Sénat en 2018, il résulte de cet ensemble une situation de « soins libres non volontaires » : les enfants et les adolescents, qui ne sont pas obligatoirement associés à l’admission, sont en droit hospitalisés en soins libres. Et cela y compris s’ils sont en fait fortement opposés à celle-ci. Selon une fiction tout à fait discutable, « la volonté du titulaire de l’autorité parentale est supposée être celle de l’enfant »[48]. Plus ambigu encore est le statut des soins ordonnés par le juge des enfants. Reconnus à mi-mot comme des soins sans consentement[49], ils sont placés hors du champ juridique des soins contraints et relèvent donc, eux aussi, du régime des soins libres au sens du code de la santé publique.

Dans son rapport annuel 2022, la CGLPL a, de nouveau, dénoncé cette « fiction juridique »[50] pure qui revient à priver ce dernier de la protection offerte par le contrôle.

II. Des soins maintenus hors contrôle

L’application d’un régime de soins libres à des enfants et des adolescents dont la volonté n’importe pas ou peu dans la décision d’hospitalisation conduit à écarter les contrôles normalement appliqués aux soins non consentis. Cette mise à distance touche évidemment le contrôle du JLD comme celui de la commission départementale des soins psychiatriques (CDSP) (A). Au-delà, elle concerne aussi les contrôles médicaux et contribue sans doute à l’inflation des soins non justifiés (B).

A. L’exclusion des contrôles institutionnels

Là où la vulnérabilité liée à l’âge devrait imposer une protection renforcée des enfants et des adolescents, le droit français conduit à ce que les garanties offertes aux mineurs soient, au mieux, équivalentes à celles mises en place pour les majeurs admis en soins sans consentement, au pire inexistantes.

La fiction du soin libre interdit en effet de reconnaître la plupart des hospitalisations complètes pour ce qu’elles sont réellement : des mesures d’enfermement thérapeutique. Juridiquement placés en soins libres ou soumis au régime particulier de l’assistance éducative, les mineurs sont exclus des garanties de contrôle offertes par la CDSP et le JLD (ou, désormais, un magistrat de l’ordre judiciaire) qui ne peut ni intervenir au titre du contrôle systématique, ni être saisi par le mineur, ni se saisir d’office[51]. Cette faille législative, signalée dès 2012 par le syndicat national de la magistrature[52], est bien connue[53] et régulièrement relevée, y compris par le ministère de la Justice qui, le 28 décembre 2023, indiquait, non sans tiédeur, que « la possibilité pour le patient mineur de saisir le juge des libertés et de la détention pourra être étudiée dans le cadre de travaux à venir sur les droits des mineurs en psychiatrie »[54].

Selon la Cour de cassation, la suppression des contrôles du JLD serait compensée par la possibilité offerte au mineur « qui conteste les soins psychiatriques », de « saisir le juge des enfants au motif que sa santé est en danger ou que les conditions de son développement sont gravement compromises ». En elle-même comme par ce qu’elle implique, l’affirmation comporte quelque chose de terrible.

D’abord, elle ignore la nature même de l’hospitalisation psychiatrique du mineur. Même si elle est soumise au régime dit « de soins libres », une telle mesure, qui enferme l’enfant ou l’adolescent dans l’enceinte de l’hôpital, caractérise une mesure privative de liberté au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est ce qu’il ressort notamment de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, Nielsen c/ Danemark, du 28 novembre 1988 s’agissant de la situation d’un enfant de 12 ans hospitalisé à la demande de sa mère dans un service de psychiatrie[55]. Si, en l’espèce, la Cour n’a pas considéré que l’hospitalisation relevait de l’article 5 de la Convention, c’est uniquement parce qu’il « n’était pas détenu en tant qu’aliéné ». « Non seulement il ne présentait pas de troubles mentaux au sens de la loi [danoise] de 1938, mais le pavillon psychiatrique de l’hôpital [où il se trouvait] ne servait pas au traitement de patients visés par elle ou souffrant de maladies mentales de caractère psychotique. »[56] Dans le cas contraire – soit si l’hospitalisation, justifiée par des troubles mentaux, avait conduit à des soins psychiatriques – la Cour aurait donc considéré que les « restrictions imposées au requérant » correspondaient bien « aux cas de privations de liberté énumérés au paragraphe 1 de l’article 5 (art. 5-1) ». Caractéristique d’un enfermement, l’hospitalisation psychiatrique d’un mineur ne peut être laissée à la seule appréciation du juge des enfants dont l’office n’est pas adapté à la privation de liberté.

Ensuite, en renvoyant à la saisine du juge des enfants, la Cour de cassation subordonne la protection d’un enfant doublement voire triplement vulnérable (du fait de son âge, de son état de santé et des soins qui lui sont administrés) à sa capacité à saisir un juge pour protester contre une décision prise par ses protecteurs et dans son intérêt, alors que ce même enfant est par ailleurs tenu dans l’incapacité de prendre la décision initiale ou d’y participer. La contradiction de la construction logique la rend d’autant plus incongrue que les majeurs hospitalisés sans leur consentement bénéficient parallèlement d’un contrôle dont la systématicité a précisément été pensée au regard de l’effectivité du droit au recours et de leurs difficultés éventuelles à saisir un juge.

Tout aussi terrible est l’énoncé des conditions qui, selon la Cour, justifieraient une mainlevée de la mesure. Il faut donc qu’un enfant soit en danger ou gravement menacé pour que le juge des enfants, s’il est saisi, remette en question son admission en soins psychiatriques. On se situe très loin ici de l’utilité et du bénéfice thérapeutiques d’une telle admission[57]. Celle-ci sera justifiée en droit tant qu’elle ne menace pas la santé de l’enfant ou les conditions de son développement. La nécessité, l’adaptation et la proportionnalité des soins sont ainsi reléguées au second plan des préoccupations, marginalisant d’autant le contrôle médical de l’hospitalisation.

B. La marginalisation des contrôles médicaux

Il s’agit là d’un autre effet pervers de la fiction des soins libres qui n’apportent ni la garantie de l’adaptation et de la proportionnalité des soins, ni même celle de leur nécessité.

Décidée par le directeur d’établissement, l’admission en soins psychiatriques, lorsqu’elle est demandée par les parents, ne fait l’objet d’aucun contrôle médical obligatoire : ni examen somatique, ni évaluation psychiatrique. Dès lors que l’on connaît l’état parallèle du secteur médico-social, il n’est guère surprenant de lire dans les rapports d’information que de nombreux enfants et adolescents atteints de troubles neuro-développementaux ou, plus simplement, en « crise » de rébellion sont enfermés dans des services de psychiatrie pour des durées plus ou moins longues, avec les conséquences qui en résultent en termes de désocialisation et de rupture éducative et de formation.

À dire vrai, le même constat peut valoir pour les admissions ordonnées par le juge des enfants bien que ces dernières soient subordonnées à un avis médical circonstancié d’un médecin extérieur à l’établissement. Celui-ci, en effet, ne dispose pas obligatoirement de qualification en pédopsychiatrie[58]. S’agissant des prolongations (non limitées dans le nombre), est uniquement requis le certificat d’un médecin de l’établissement, sans considération d’indépendance ou d’impartialité et sans possibilité de contradictoire[59].

Le déroulement des soins ne fait pas davantage l’objet de contrôles. Sans doute, le régime de soins libres censé être celui des mineurs hospitalisés conduit-il, en droit, à exclure les mesures d’isolement et de contention. En droit, oui, mais pas en fait[60]. D’une part, cette exclusion n’empêche pas le recours à des « chambres d’apaisement » ou à des « techniques d’enveloppement » qui se rapprochent singulièrement de l’isolement et de la contention[61]. D’autre part, l’hospitalisation fréquente d’enfants ou d’adolescents dans des services adultes conduit, faute de mieux, à assurer leur protection par leur séparation et leur isolement. Enfin, si cette exclusion parait claire s’agissant des hospitalisations demandées par les titulaires de l’autorité parentale, elle l’est beaucoup moins lorsque les soins hospitaliers résultent d’une injonction du juge des enfants. Situés à la frontière des soins libres et des soins sous contrainte, ces derniers ne font pas l’objet d’une qualification juridique adaptée aux dispositions du code de la santé publique. Dans son avis de 2022, la Cour de cassation les a plutôt rapprochés des soins délivrés sur décision du représentant de l’État, ce qui, faute de mention contraire, impliquerait la possibilité de mettre en œuvre les soins de dernier recours visés par l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique[62]. Le CGLPL, quant à lui, parait les exclure de ce champ, faute d’une qualification juridique claire[63]. Ce flou juridique qu’entretient le silence de la loi est évidemment propice à la méconnaissance des droits des jeunes patients[64].

Au total, il est donc fréquent que les mineurs soient assujettis à diverses mesures de contrainte, dont font partie l’isolement et la contention. Ce ne sont pas tant ces mesures que leur contrôle qu’écarte la fiction du soin libre : leur contrôle juridictionnel, inexistant ou incertain, mais aussi leur contrôle médical. Le constat vaut particulièrement lorsque le mineur est hospitalisé en service général. Souvent motivées par des considérations de sécurité, les modalités de soins, qui ne sont pas décidées par des professionnels spécialistes de la pédopsychiatrie, ne répondent pas toujours à leur stricte nécessité thérapeutique. À ce niveau, les soignants, les services et les établissements d’accueil se trouvent confrontés à un dilemme, faute de moyens financiers, matériels et humains. La priorité est en effet d’assurer la sécurité et la protection des jeunes patients : protection contre eux-mêmes, parfois protection contre leurs parents, mais aussi, et de façon urgente, protection contre les autres patients.

En 2020, une décision du Défenseur des droits rappelait une nouvelle fois les autorités sanitaires et les pouvoirs publics à leurs obligations dans la protection de l’enfance. Une adolescente de 13 ans avait été hospitalisée à la demande de sa mère dans un service d’urgence, faute de place disponible dans l’unité pour adolescents. Trois jours après son arrivée, elle était agressée sexuellement par un autre patient, adulte, admis en SDRE. Ce drame, on le sait, ne relève pas d’un cas isolé. Il n’est qu’un infime révélateur de la faillite d’un système qui est connue depuis de nombreuses années. La réponse jusqu’à présent apportée par les pouvoirs publics n’est pas sans rappeler un extrait des Chroniques bluesymentales d’Hubert-Félix Thiéfaine : « Demain les kids ».

 

 

[1] Le texte qui suit est la transcription de la communication orale présentée au colloque qui s’est tenu à Nantes les 9 et 10 avril 2024.

[2] Sur ce constat, régulièrement dressé, v. not. CGLP, Rapport d’activité annuel 2022, Dalloz, 2023, p. 25 ou J.-F. Longeot, Question écrite n° 08470 (16e législature) sur la situation des mineurs hospitalisés en psychiatrie (JO Sénat du 28 sept. 2023, p. 5587).

[3] Cette situation, abondamment renseignée, a été notamment confirmée par la Cour des comptes en 2023 (La pédopsychiatrie. Un accès et une offre de soins à réorganiser, Rapport du 21 mars 2023) et par Santé publique France, début 2024 (v. « Les jeunes sont désormais plus touchés par les idées suicidaires que la population générale, un mal aux causes profondes », Le Monde du 25 févr. 2024.

[4] V. not. loi n° 2011-803 du 5 juill. 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, JO du 6 juill. 2011, texte n° 1 et loi n° 2013-869 du 27 sept. 2013 modifiant certaines dispositions issues de la loi n° 2011-803 du 5 juill. 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge, JO du 29 sept. 2013, texte n° 1.

[5]  V. not. loi n° 2024-120 du 19 févr. 2024 visant à garantir le respect du droit à l’image des enfants, JO du 20 févr. 2024, texte n° 1 et loi n° 2024-233 du 18 mars 2024 visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, JO du 19 mars 2024, texte n° 1.

[6] A. Feydeau-Thieffry, Rapport sur Cass. civ., avis n° 15005, 18 mai 2022, p. 14.

[7] Sans compter la procédure d’hospitalisation prévue aux articles 706-135 du code de procédure pénale (CPP) dans l’hypothèse d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, qui s’applique également aux mineurs.

[8] Qui contient des dispositions relatives à l’autorité parentale (art. 371-1 et s.) et à l’assistance éducative (art. 375 s.).

[9] Qui comprend des dispositions intéressant plus spécifiquement les soins délivrés aux mineurs (art. L. 1111-2 et L.1111-4), dont les soins de santé mentale (art. L. 3211-10 et s.).

[10] Outre le fait que les voies d’entrée en soins définies par code civil sont ignorées du code de la santé publique, il apparait aussi des contradictions entre les deux codes qu’ont tour à tour relevé le CGLP et A. Feydeau-Thieffry (rapp. préc., p. 26).

[11] O. Renaudie, « Le contentieux du droit souple en santé mentale : quels enseignements ? », Justice & Cassation 2023, p. 51-59.

[12] Au demeurant, ce n’est pas au ministère de la Santé que le sénateur J.-F. Longeot a adressé sa question écrite précitée, mais au ministre de la Justice.

[13] CGLPL, Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale, Rapport thématique 2017, Dalloz, 156 p. ; Rev. Droit & Santé 2018, 82, 257, note S. Renard.

[14] Décret n° 2022-1263 du 28 sept. 2022 relatif aux conditions d’implantation de l’activité de psychiatrie, JO du 29 sept. 2022, texte n° 24.

[15] Circ. du 13 sept. 1961 concernant l’hospitalisation des enfants de moins de 16 ans à l’hôpital psychiatrique (v.  https://www.ascodocpsy.org/wp-content/uploads/textes_officiels/Circulaire_13septembre1961.pdf).

[16] Mots soulignés par l’auteur.

[17] Circ. du 16 mars 1972 relative au programme d’organisation et d’équipement des départements en matière de lutte contre les maladies et déficiences mentales des enfants et des adolescents, JO du 21 avr. 1972, p. 4209.

[18] Nous soulignons. Sans doute, n’est-il pas inutile de rappeler que la majorité civile, marquant réellement « l’entrée dans l’âge adulte », était alors fixée à vingt-et-un ans, l’âge de seize ans correspondant davantage à la fin de l’obligation scolaire, soit à l’entrée dans la vie active.

[19] En 2017, le CGLPL faisait état d’un âge moyen de 15 ans et 3 mois (rapp. préc.).

[20] V. le dossier de presse, cahier 1, p. 2.

[21] CGLPL, Rapport annuel d’activité 2023, p. 27

[22] CGLPL, Les droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale, préc. ; Les droits fondamentaux des mineurs enfermés, Rapport thématique 2021, Dalloz, 150 p.

[23] C. Troendlé et M. Amiel, Une adolescente entre les murs : l’enfermement, dans les limites de l’éducatif, du thérapeutique et du répressif, Rapport d’information du Sénat n° 726 [2017-2018], 25 sept. 2018, t. 1, p. 57

[24] En 2023, le ministère de la santé faisait état d’une augmentation de 220 M€. V. CGLPL, Rapport annuel d’activité 2023, Dalloz, p. 105.

[25] V. Cour des comptes, La pédopsychiatrie, op. cit. Dans son rapport d’activité 2023 paru le 15 mai 2024, le CGLP s’inquiétait de « l’état alarmant de la pédopsychiatrie, et notamment [de] l’absence fréquente d’offre d’hospitalisation complète [qui] conduit souvent à l’hospitalisation de mineurs en psychiatrie pour adultes. Dans cette situation, aucune mesure n’est prévue pour adapter la prise en charge à la situation des mineurs qui subissent le régime des adultes » (CGLPL, Rapport annuel d’activité 2023, op. cit., p. 27).

[26] Situation dont tient d’ailleurs compte l’article R. 6123-200 du CSP qui, à titre exceptionnel, permet l’hospitalisation sans consentement d’un adolescent de 16 ans en service adultes, ainsi que l’instruction n° DGOS/R4/2022/257 du 2 déc. 2022 (BOSPSS n° 2022/25 du 15 déc. 2022, p. 248) : « Dans certaines situations exceptionnelles, notamment dans les situations d’urgence ou en l’absence de place disponible dans un établissement autorisé en psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, un mineur âgé de 16 ans et plus peut être pris en charge dans un établissement autorisé en psychiatrie de l’adulte. Le titulaire doit organiser si nécessaire le transfert dès que possible dans un établissement de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent ou dans une unité mixte. Le patient mineur ne peut partager sa chambre avec un patient majeur. La sécurité du patient mineur doit spécifiquement être organisée par la direction de l’établissement. »

[27] Recommandation n° 20 sur la santé mentale des enfants, 2021. L’évolution juridique était déjà réclamée par J.-M. Delarue, CGLPL en 2013 : « Il faudrait revoir cette question avec le ministère compétent pour qu’ils assurent à ces enfants le droit d’être soignés dans de bonnes conditions et conformément à leur âge d’enfant. […] Il devrait être au moins inscrit quelque part l’idée qu’on ne peut pas admettre un enfant dans un service adulte. » (Audition du 21 févr. 2013 par la Mission d’information de l’Assemblée nationale sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie).

[28] Cass. civ. 1ère, avis, 18 mai 2022, n° 22-70.003 : Dr. famille 2022, comm. 109 , L. Mauger-Vielpeau ; JCP G 2022. 26. 823, comm. E. Péchillon et S. Renard ; D. 2022. 1574, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid . 1986, chron. X. Serrier, V. Le Gall, A. Feydeau-Thieffry, L. Duval, E. Buat-Ménard, V. Champ et S. Robin-Raschel ; RDSS 2022. 685, note P. Curier-Roche.

[29] Laquelle réagissait également au fait que la loi du 30 juin 1938 soit parfois utilisée pour « placer le sujet [mineur] à l’hôpital psychiatrique ».

[30] Loi n° 2002-2 du 2 janv. 2002 rénovant l’action sociale et médico-sociale, JO du 3 janv. 2002, texte n° 2.

[31] Loi n° 2002-305 du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale, JO du 4 mars 2002, texte n° 3.

[32] Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, JO du 4 mars 2002, texte n° 1.

[33] CSP, art. L. 1111-2 II.

[34] V. D. Guérin et S. Renard, « Réflexions sur la jeunesse en droit de la santé », RDSS 2018-1, p. 106-118 et S. Renard, « Seuils d’âge en droit de la santé », AJ famille 2017 (n° 10), p. 524-533

[35] V. S. Renard, « La pré-majorité sanitaire », in Jeunesse et vulnérabilité. Actes de la recherche JEUVUL, LexisNexis, mai 2021, p. 225-234.

[36] C. civ., art. 371-1 et CSP, art. L. 1111-2 II (« Les mineurs ont le droit de recevoir eux-mêmes une information et de participer à la prise de décision les concernant, d’une manière adaptée à leur degré de maturité. ») et art. L. 1111-4, al. 7 (« Le consentement du mineur ou du majeur sous tutelle doit être systématiquement recherché s’il est apte à exprimer sa volonté et à participer à la décision. »). V. P. Véron, « La volonté du jeune patient », in Jeunesse et vulnérabilité. Actes de la recherche JEUVUL, LexisNexis, mai 2021, p. 213-224.

[37] CSP, art. R. 1112-34 : « L’admission d’un mineur est prononcée, sauf nécessité, à la demande d’une personne exerçant l’autorité parentale ou de l’autorité judiciaire ». À noter le renvoi vers « une » personne exerçant l’autorité parentale, là où le droit civil investit les deux parents de la protection de la santé de l’enfant. Le défaut est corrigé par l’art. L. 3211-10 concernant l’admission en soins psychiatriques, lesquels ne constituent pas des actes usuels. V. not. CE 7 mai 2014, n° 359076, D. 2014. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire.

[38] C. civ., art. 375-9. V. ég. C. proc. civ., art. 1182, 1184 et 1189. Le juge peut décider de ne pas procéder à l’audition lorsque l’âge, la santé ou les facultés mentales de l’enfant la rendent impossible ou lorsqu’une telle audition serait de nature à compromettre sa santé ou son état mental : Cass. civ. 1ère, 20 févr. 1985, no 83-80.055 : Gaz. Pal. 1985. 2. 756. Le droit du mineur de se voir notifier la décision est, quant à elle, subordonnée à une double condition d’âge (16 ans) et de « capacité », son état pouvant justifier un défaut de notification : C. proc. civ., art. 1190, al. 2.

[39] CSP, art. L. 1111-4, al. 7. Dans cette hypothèse, « le médecin délivre les soins indispensables ». La disposition est complétée par l’article R. 1112-35, al. 4 : « Lorsque la santé ou l’intégrité corporelle du mineur risquent d’être compromises par le refus du représentant légal du mineur ou l’impossibilité de recueillir le consentement de celui-ci, le médecin responsable du service peut saisir le ministère public afin de provoquer les mesures d’assistance éducative lui permettant de donner les soins qui s’imposent. »

[40] La saisine peut être celle du médecin responsable du service en application de l’article R. 1112-35 du CSP. Plus généralement, l’article 375 du code civil dispose que « si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non émancipé sont en danger […], des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l’un d’eux, de la personne ou du service à qui l’enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public ». « Si la protection de l’enfant l’exige, le juge des enfants peut [alors] décider de le confier […] à un établissement sanitaire […] » (C. civ., art. 375-3).

[41] CPP, art.  706-135.

[42] CSP, art. L. 3213-1.

[43] CSP, art. L. 3211-10 et L. 3211-1, al. 1er.

[44] C. civ., art. 375, 375-3 et 375-9.

[45] V. not. le rapport de Mme Feydeau-Thieffry sur l’avis de la Cour de cassation, p. 17-26.

[46] J.-P. Mabrut et S. Turbe, « Juge des enfants, pédopsychiatres : vers de nouvelles obligations réciproques », Enfance et Psy 2006/1 (n° 30), p. 137.

[47] Cass. civ. 1re, 29 mai 1996, no 92-05.018, Bull. civ. I, n° 226 : RDSS 1997. 392, note Monéger ; Defrénois 1996. 1351, obs. Massip ; Dr. fam. 1996, no 9, note Murat; Gaz. Pal. 1997. 1. 377, note Harel-Dutirou.

[48] CGLPL, Rapport annuel d’activité 2022, Dalloz 2023, p. 26.

[49] À ce niveau, la réponse du ministère de la Justice du 28 décembre 2023 est assez éloquente puisqu’elle associe des soins à ceux ordonnés par le représentant de l’État et à ceux enjoints par l’autorité judiciaire à la suite d’une déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental : https://www.senat.fr/questions/base/2023/qSEQ230908470.html.

[50] CGLPL, op. cit., p. 26.

[51] Cette exclusion vaut bien évidemment lorsque les soins sont demandés par les parents ; elle vaut aussi dans l’hypothèse où l’admission hospitalière résulte d’une injonction du juge des enfants dont l’intervention suffit à dessaisir le JLD.

[52] Observations du Syndicat de la magistrature sur l’application de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge : https://psychiatrie.crpa.asso.fr/2012-02-02-Syndicats-de-magistrats-observations-sur-l-application-de-la-loi-du-5-juillet-2011

[53] https://psychiatrie.crpa.asso.fr/2013-07-11-Observations-des-syndicats-de-magistrats-pour-leur-audition-par-le-depute-Denys-Robiliard

[54] Elle faisait d’ailleurs partie des premiers motifs de la demande d’avis présenté à la Cour de cassation par le JLD de Vannes : la fiction du soin libre prive le mineur « du droit de voir sa situation examinée par un juge alors que [cette] possibilité […] de saisine du juge des libertés et de la détention est une des préconisations du contrôleur général des lieux de privation de liberté dans son rapport de 2017 relatif aux droits fondamentaux des mineurs en établissement de santé mentale. »

[55] CEDH 28 nov. 1988, Nielsen c/ Danemark, req. n° 10929/84, série A, n° 144.

[56] § 72.

[57] https://psychiatrie.crpa.asso.fr/2015-11-12-jpj-tgi-jld-Le-JLD-de-Versailles-ordonne-la-levee-d-une-hospitalisation-sans-consentement-d-un-mineur-autiste-de

[58] Muriel Englin, magistrate et ancienne conseillère juridique du Défenseur des droits, indiquant en 2006 qu’en pratique, l’avis médical émane le plus souvent d’un « médecin des services d’urgences qui constate chez un mineur un état de confusion et un comportement agité nécessitant une hospitalisation ». M. Englin, « Quand la justice impose des soins », Enfance & Psy 2006/1 (n° 30), p. 130.

[59] V. not. J.-L. Rougé, « L’hospitalisation sous contrainte des enfants : des droits en mode mineur », Journal des droits des jeunes 2016, 4, p. 26-39. Comme le relève l’auteur, quoique relevant du droit commun, la situation des mineurs est ici analogue à la situation exceptionnelle des majeurs hospitalisés pour « péril imminent ».

[60] Sur ce point, v. les rapports généraux et thématiques du CGLPL.

[61] V. S. Renard et E. Péchillon, « Hospitalisation psychiatrique des mineurs : derrière la clarté, des occasions manquées », note sous Cass. civ. 1ère, avis, 18 mai 2022, n° 22-70.003, JCP G 2022, note 823, p. 1311-1314.

[62] La question se pose alors de savoir si, dans cette hypothèse, le contrôle du JLD prévu par ces dispositions vaudrait également pour les mineurs ou si devrait prévaloir celui du juge des enfants.

[63] V. not. le Rapport annuel d’activité 2023, op. cit., p. 27.

[64] « Volontaire ou non, pareille hypocrisie ne peut être regardée ni comme la conséquence d’un « vide juridique » ni comme une mesure provisoire et nécessaire, mais comme la manifestation perverse d’un nominalisme juridique portant une atteinte supplémentaire aux droits de l’enfant » (CGLPL, Rapport annuel d’activité 2022, op. cit., p. 26).