samedi 20 juin 2020

Recommandations en urgence relatives à l’établissement public de santé Roger Prévot à Moisselles (Val-d’Oise)

Au Journal Officiel du 19 juin 2020 et en application de la procédure d’urgence, la Contrôleure générale a publié des recommandations relatives à l’établissement public de santé  Roger Prévot à Moisselles (Val-d’Oise).
L’article 9 de la loi du 30 octobre 2007 permet au Contrôleur général des lieux de privation de liberté, lorsqu’il constate une violation grave des droits fondamentaux des personnes privées de liberté, de saisir sans délai les autorités compétentes de ses observations en leur demandant d’y répondre.
Lire les recommandations du CGLPL dans leur intégralité
Le ministre des solidarités et de la santé a été destinataire de ces recommandations, un délai de deux semaines lui a été donné pour répondre. Le CGLPL n’a pas reçu de réponse à la date de publication des présentes recommandations. La direction générale de l’offre de soins (DGOS) a néanmoins informé le CGLPL de la publication le 5 juin 2020 d’une fiche relative à la liberté d’aller et venir des patients dans les services de psychiatrie en période de déconfinement. Cette fiche, destinée aux établissements de santé, présente des éléments de repères destinés à favoriser le respect de la liberté d’aller et venir en psychiatrie, durant la période de déconfinement et malgré la poursuite de la circulation du COVID-19, dans les cas suivants : admissions, visites, sorties et permissions.
La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, informée de pratiques portant gravement atteinte aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées, a visité l’établissement public de santé Roger Prévot de Moisselles (Val-d’Oise) le lundi 18 mai 2020, accompagnée de trois collaborateurs.
Cette visite a donné lieu au constat d’atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées dans cet établissement, résultant d’une confusion entre le régime de l’isolement psychiatrique institué par le code de la santé publique et le confinement sanitaire décidé par les pouvoirs publics afin de lutter contre la propagation du Covid-19.
Bien que des mesures aient été prises localement à la suite de cette visite pour corriger les pratiques relevées, la gravité des violations constatées et le risque que cette ambiguïté provoque des atteintes de même nature aux droits de patients accueillis dans d’autres établissements de santé mentale justifient que des recommandations de principe soient formulées. L’ensemble de ces raisons ont conduit la Contrôleure générale à mettre en œuvre une procédure d’urgence.

L'isolement et la contention devant le Conseil constitutionnel

Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020

M. Éric G. [Contrôle des mesures d'isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement]
 
 
 
  Sur le fond :
3. Aux termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis.
4. Dans le cadre d'une prise en charge dans un établissement assurant des soins psychiatriques sans consentement, l'isolement consiste à placer la personne hospitalisée dans une chambre fermée et la contention à l'immobiliser. Ces mesures ne sont pas nécessairement mises en œuvre lors d'une hospitalisation sans consentement et n'en sont donc pas la conséquence directe. Elles peuvent être décidées sans le consentement de la personne. Par suite, l'isolement et la contention constituent une privation de liberté.
5. En application du premier alinéa de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, le placement à l'isolement ou sous contention d'une personne prise en charge en soins psychiatriques sans consentement ne peut être décidé que par un psychiatre pour une durée limitée lorsque de telles mesures constituent l'unique moyen de prévenir un dommage immédiat ou imminent pour elle-même ou autrui. Leur mise en œuvre doit alors faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par l'établissement d'accueil à des professionnels de santé désignés à cette fin. Il résulte, en outre, des deux autres alinéas de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique que tout établissement de santé chargé d'assurer des soins psychiatriques sans consentement doit, d'une part, veiller à la traçabilité des mesures d'isolement et de contention en tenant un registre mentionnant, pour chaque mesure, le nom du psychiatre qui a pris la décision, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Ce registre doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. D'autre part, l'établissement de santé doit établir un rapport annuel rendant compte des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, de la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et de l'évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers et au conseil de surveillance de l'établissement.
6. En adoptant ces dispositions, le législateur a fixé des conditions de fond et des garanties de procédure propres à assurer que le placement à l'isolement ou sous contention, dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, n'intervienne que dans les cas où ces mesures sont adaptées, nécessaires et proportionnées à l'état de la personne qui en fait l'objet.
7. Si l'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, il n'impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Dès lors, en ce qu'elles permettent le placement à l'isolement ou sous contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l'article 66 de la Constitution.
8. En revanche, la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n'a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d'une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s'ensuit qu'aucune disposition législative ne soumet le maintien à l'isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l'article 66 de la Constitution.
9. Par conséquent et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, le premier alinéa de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique doit être déclaré contraire à la Constitution. Il en va de même, par voie de conséquence, des deux autres alinéas de cet article.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
11. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à la Constitution, en ce qu'elle ferait obstacle à toute possibilité de placement à l'isolement ou sous contention des personnes admises en soins psychiatriques sous contrainte, entraînerait des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 décembre 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.

jeudi 4 juin 2020

« Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté ».

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) a publié ce jour des « Recommandations minimales pour le respect de la dignité et des droits fondamentaux des personnes privées de liberté ».

Résumé réalisé par  Valériane DUJARDIN - LASCAUX
Juriste, EPSM Lille Métropole
Chargée de mission Centre Collaborateur de l'OMS pour la
Recherche et la Formation en santé mentale (Lille, France)

Comme l'indique l'exposé de présentation du document, ces recommandations reprennent et organisent en un document unique l’essentiel de la doctrine élaborée par le CGLPL depuis sa création en 2008, dans un corpus de 257 recommandations s’appliquant à l’ensemble des lieux de privation de liberté. Elles constituent le socle minimal des mesures à prendre pour respecter la dignité et les droits fondamentaux des personnes privées de liberté.


Il est à relever, parmi les 257 recommandations concernant les lieux de privation de liberté, neuf commentaires spécifiques aux établissements de santé mentale se déclinant comme suit (présentation des neuf commentaires en reprenant la trame du document)  : 


1 - INTÉGRER LE RESPECT DE LA DIGNITÉ ET DES DROITS FONDAMENTAUX DANS L’AMÉNAGEMENT ET L’ORGANISATION DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ

Principes généraux
1-1- Une structure adaptée

- Recommandation 3 : La structure ne peut se limiter à une fonction de surveillance. Elle doit permettre le bon exercice des autres fonctions dévolues au personnel et aux intervenants : informer, soigner, éduquer, réinsérer.
Commentaire : Les établissements de santé mentale ont pour mission celle de soigner et non de surveiller.

2 - ACCUEILLIR, INFORMER ET ORIENTER LES PERSONNES ENTRANT DANS UN LIEU DE PRIVATION DE LIBERTÉ

Principes généraux

Recommandation 25 : Nul ne peut être privé de liberté sans une décision de l’autorité publique compétente, soumise au contrôle d’un juge. Le personnel en charge de l’accueil doit s’assurer de l’existence de cette décision et de l'identité de la personne qui lui est présentée dès son arrivée.
Commentaire : Dans les établissements de santé mentale, aucun patient admis sous le régime des soins libres ne peut être privé de sa liberté d’aller et venir, ni empêché de quitter le service.

4 - SATISFAIRE LES BESOINS RÉGLEMENTAIRES DES PERSONNES PRIVÉES DE LIBERTÉ ET RESPECTER LEUR DIGNITÉ DANS LES ACTES DE LA VIE QUOTIDIENNE
4-1- Les besoins élémentaires

- Recommandation 74 : Les personnes privées de liberté ont le droit de porter leurs vêtements personnels. Leurs proches doivent être autorisés à leur en apporter et l’administration doit fournir gratuitement des vêtements aux personnes qui en ont besoin. Une tenue de ville doit être mise à leur disposition pour des occasions particulières, notamment en cas de présentation à l’autorité judiciaire. En  dehors des vêtements de travail, l’imposition d’une tenue uniforme ou d’une vêture inappropriée doit être proscrite.
Commentaire : (Pour les ESM ) L'imposition systématique du port du pyjama doit être prohibée.

7 - FAVORISER LE MAINTIEN DES LIENS FAMILIAUX DES PERSONNES PRIVÉES DE LIBERTÉ ET LEURS RELATIONS AVEC L’EXTÉRIEUR
7-3- L'accès à la correspondance écrite et au téléphone

- Recommandation 158 : Lorsque leur téléphone ou terminal personnel leur est retiré, es personnes privées de liberté doivent pouvoir accéder aux données personnelles enregistrées ou conservées à l’intérieur.
Commentaire : (Pour les ESM ) Les téléphones et terminaux informatiques personnels des personnes hospitalisées sous le régime des soins psychiatriques sans consentement ne peuvent leur être retirés que sur la décision d’un médecin. Cette décision doit être individualisée et fondée sur l’état clinique du patient. Elle doit toujours être susceptible de contestation ou de recours.

8 - GARANTIR L’EXERCICE EFFECTIF DES DROITS DE LA DÉFENSE ET DES DROITS CIVILS, CIVIQUES ET SOCIAUX DES PERSONNES PRIVÉES DE LIBERTÉ
8-1- L'accès au droit

- Recommandation 171 : L’enfermement des personnes privées de liberté ne doit pas faire obstacle à leur droit de saisir un juge et de lui présenter, en personne, leurs arguments et moyens de défense. Le droit au juge doit s’exercer en sa présence, de manière directe et personnelle, ans écran
ni dispositif de séparation. L’usage d’un dispositif de visioconférence doit être réservé aux audiences de pure forme ou aux cas dans lesquels il constitue l’unique moyen de respecter le délai raisonnable dans lequel doit s'accomplir la procédure.  Soumis à l’accord exprès de la personne concernée, il ne doit avoir pour effet ni d’altérer le caractère public ou confidentiel des audiences, ni d’affecter la confidentialité des relations entre l’avocat et son client.
Commentaire : (Pour les ESM)  Les audiences relatives aux mesures d’hospitalisation psychiatrique sans consentement doivent se dérouler dans un lieu dédié au sein des établissements de santé mentale. Le recours à un dispositif de visioconférence doit être prohibé.

8-2-  Le droit à la vie privée

- Recommandation 180 : Les personnes privées de liberté disposent de leur droit à l’image dans les conditions du droit commun. Toute prise de vue photographique ou tout enregistrement audiovisuel d’un mineur privé de liberté doit avoir préalablement été autorisée par les titulaires de l'autorité parentale.
Commentaire : (Pour les ESM) Une attention particulière doit être portée au caractère éclairé du consentement du patient concerné dans les conditions de mise en œuvre du droit commun. En cas de doute sur sa capacité à consentir, il doit être fait appel à la personne de confiance.

8-5- La protection des données

- Recommandation 191 :  Les personnes privées de liberté ont droit à la protection de leurs données personnelles, dans le respect des principes posés par le règlement relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données. A ce titre, elles doivent être informées des collectes de données dont elles font l'objet, de leur destination, et de leur durée de conservation. Elles doivent également être informées de l’existence et des modalités de leur droit d’accès.
Commentaire : (Pour les ESM) Les patients placés en soins sans consentement ou susceptibles de l’être par décision du directeur d’établissement doivent être informés de l’inscription de la mesure au fichier de traitement de données à caractère personnel relatif au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement, et des conséquences que cette inscription peut avoir.

9 - LIMITER LES CONTRÔLES ET LES CONTRAINTES ADDITIONNELLES A LA PRIVATION DE LIBERTÉ
Principes généraux

- Recommandation 215 : Seuls des membres du personnel spécialement formés et entraînés à cet effet doivent être autorisés à faire usage de la force ou à mettre en œuvre des moyens de contrôle, de contrainte ou de mise à l’écart. Des notes ou guides de pratiques professionnelles adaptées doivent en définir les modalités.
Commentaire : (Pour les ESM) : Seul le personnel soignant d'un établissement de santé mentale peut intervenir dans la maîtrise physique des patients.

9-1- Les fouilles et autres moyens de contrôle

- Recommandation 219 : Aucune fouille à nu ne peut être réalisé dans un fondement légal explicite qui doit être interprété de manière restrictive.
Commentaire : (Pour les ESM) : Les fouilles à nu sont interdites au sein des établissements de santé mentale.