Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020
M. Éric G. [Contrôle des mesures d'isolement ou de contention dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement]
Sur le fond :
3. Aux
termes de l'article 66 de la Constitution : « Nul ne peut être
arbitrairement détenu. - L'autorité judiciaire, gardienne de la liberté
individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions
prévues par la loi ». La liberté individuelle, dont la protection est
confiée à l'autorité judiciaire, ne saurait être entravée par une
rigueur non nécessaire. Les atteintes portées à l'exercice de cette
liberté doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux
objectifs poursuivis.
4. Dans
le cadre d'une prise en charge dans un établissement assurant des soins
psychiatriques sans consentement, l'isolement consiste à placer la
personne hospitalisée dans une chambre fermée et la contention à
l'immobiliser. Ces mesures ne sont pas nécessairement mises en œuvre
lors d'une hospitalisation sans consentement et n'en sont donc pas la
conséquence directe. Elles peuvent être décidées sans le consentement de
la personne. Par suite, l'isolement et la contention constituent une
privation de liberté.
5. En
application du premier alinéa de l'article L. 3222-5-1 du code de la
santé publique, le placement à l'isolement ou sous contention d'une
personne prise en charge en soins psychiatriques sans consentement ne
peut être décidé que par un psychiatre pour une durée limitée lorsque de
telles mesures constituent l'unique moyen de prévenir un dommage
immédiat ou imminent pour elle-même ou autrui. Leur mise en œuvre doit
alors faire l'objet d'une surveillance stricte confiée par
l'établissement d'accueil à des professionnels de santé désignés à cette
fin. Il résulte, en outre, des deux autres alinéas de l'article L.
3222-5-1 du code de la santé publique que tout établissement de santé
chargé d'assurer des soins psychiatriques sans consentement doit, d'une
part, veiller à la traçabilité des mesures d'isolement et de contention
en tenant un registre mentionnant, pour chaque mesure, le nom du
psychiatre qui a pris la décision, sa date et son heure, sa durée et le
nom des professionnels de santé l'ayant surveillée. Ce registre doit
être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des
soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de
liberté ou à ses délégués et aux parlementaires. D'autre part,
l'établissement de santé doit établir un rapport annuel rendant compte
des pratiques d'admission en chambre d'isolement et de contention, de la
politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et de
l'évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la
commission des usagers et au conseil de surveillance de
l'établissement.
6. En
adoptant ces dispositions, le législateur a fixé des conditions de fond
et des garanties de procédure propres à assurer que le placement à
l'isolement ou sous contention, dans le cadre de soins psychiatriques
sans consentement, n'intervienne que dans les cas où ces mesures sont
adaptées, nécessaires et proportionnées à l'état de la personne qui en
fait l'objet.
7. Si
l'article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté
soit placée sous le contrôle de l'autorité judiciaire, il n'impose pas
que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation
de liberté. Dès lors, en ce qu'elles permettent le placement à
l'isolement ou sous contention dans le cadre de soins psychiatriques
sans consentement, les dispositions contestées ne méconnaissent pas
l'article 66 de la Constitution.
8. En
revanche, la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée
que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le
législateur a prévu que le recours à isolement et à la contention ne
peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n'a
pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà
d'une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle
du juge judiciaire. Il s'ensuit qu'aucune disposition législative ne
soumet le maintien à l'isolement ou sous contention à une juridiction
judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l'article 66
de la Constitution.
9. Par
conséquent et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre grief, le
premier alinéa de l'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique
doit être déclaré contraire à la Constitution. Il en va de même, par
voie de conséquence, des deux autres alinéas de cet article.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
10. Selon
le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une
disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article
61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil
constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le
Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans
lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles
d'être remis en cause ». En principe, la déclaration
d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question
prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à
la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la
date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel.
Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent
à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de
reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des
effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette
déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil
constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la
responsabilité de l'État du fait des dispositions déclarées
inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites
particulières.
11. En
l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions déclarées contraires à
la Constitution, en ce qu'elle ferait obstacle à toute possibilité de
placement à l'isolement ou sous contention des personnes admises en
soins psychiatriques sous contrainte, entraînerait des conséquences
manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31
décembre 2020 la date de l'abrogation des dispositions contestées.
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - L'article L. 3222-5-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, est contraire à la Constitution.
Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.