lundi 5 décembre 2016

Contrôle judiciaire des mesures de soins psychiatriques sans consentement : attention à l'autorité de la chose jugée



Article de  Mathias Couturier, Maître de conférences à l'université de Caen
A paraître  dans la prochaine livraison du Bulletin permanent Santé, bioéthique et biotechnologies des éditions législatives.



L’autorité de la chose jugée en matière de contrôle judiciaire des mesures de soins psychiatriques sans consentement
La Cour de cassation considère que lorsqu’une irrégularité d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement a déjà été soumise à l’examen du juge des libertés et de la détention (JLD), elle ne peut, à peine d’irrecevabilité, être soulevée à nouveau dans le cadre d’une nouvelle demande de mainlevée présentée au JLD.
La Cour de cassation, dans une décision du 19 octobre 2016, vient de donner application de la notion d’autorité de la chose jugée en matière de soins psychiatriques sans consentement. Une personne avait fait l’objet d’une admission par décision du directeur d’établissement d’accueil sur demande d’un tiers, dans le cadre de la procédure d’urgence prévue à l’article L 3212-3 du CSP, mise en œuvre sous forme d’hospitalisation complète. Lors du contrôle de plein droit à 12 jours de la mesure de soins, le JLD relevait une erreur matérielle contenue dans le document de notification de la décision d’admission, relativement à la date du certificat initial nécessaire à l’admission. Il validait néanmoins la mesure et ordonnait donc le maintien de celle-ci. Cette décision ne faisait l’objet de l’exercice d’aucune voie de recours.
15 jours après cette décision d’un premier JLD, le malade, soulevant à nouveau cette irrégularité, présentait au JLD une nouvelle demande de mainlevée de la mesure de soins. Ce second JLD faisait droit à la demande en se fondant sur cette irrégularité. Le premier président de la cour d’appel, saisi en cause d’appel, infirmait alors la décision du JLD en considérant que l’irrégularité en question n’était pas de nature à vicier la procédure, et ce d’autant plus que la mesure avait été validée par le premier JLD intervenant à 12 jours qui avait ainsi couvert cette irrégularité.
Un second JLD ne peut défaire ce qu’un premier JLD a décidé
La décision d’appel faisait alors l’objet d’un pourvoi devant la Cour de cassation qui, confrontée à la question de savoir si le second JLD pouvait fonder la mainlevée de la mesure sur une irrégularité couverte par la décision du premier JLD, prononçait ainsi : « à peine d’irrecevabilité, prononcée d’office, aucune irrégularité de la procédure de soins psychiatriques sans consentement, antérieure à une audience à l’issue de laquelle le juge des libertés et de la détention se prononce sur la mesure, ne peut être soulevée lors d’une instance ultérieure devant ce même juge ». Dès lors, la Cour de cassation considérait que, ayant constaté que la décision initiale d’hospitalisation complète avait déjà été soumise au contrôle de plein droit du JLD, le premier président avait, par ces seuls motifs, exactement décidé que la procédure avait été validée par l’ordonnance de ce juge prescrivant la poursuite de la mesure. En somme, il n’était même pas été nécessaire au premier président, pour justifier sa propre décision, d’affirmer que l’irrégularité en question n’était pas de nature à vicier la procédure : il lui suffisait de relever qu’elle avait été couverte par le premier JLD.
Une cause d’irrecevabilité de la demande qui doit être soulevée d’office
La Cour de cassation offre ainsi une bonne illustration de l’autorité de la chose jugée déclinée au cas des soins psychiatriques sans consentement. Celle-ci interdit aux parties de recommencer un nouveau procès qui porterait sur un différend qui aurait été déjà jugé, sous la condition, prévue à l’article 1355 du Code civil (anciennement 1351), d'une identité entre les deux procédures, identité résultant de trois éléments tous réunis dans cette affaire :
- identité de parties : en l’espèce, le malade et l’établissement d’accueil ;
- identité de chose demandée : en l’espèce, la mainlevée de la mesure ;
- identité de cause sur laquelle la demande est fondée : en l’espèce, l’irrégularité matérielle contenue dans le document de notification de la décision d’admission.
Lorsque ces trois éléments sont réunis, l’autorité de la chose jugée impose de prononcer  l’irrecevabilité de la demande, celle-ci devant être soulevée d’office par le juge comme l’a rappelé la Cour de cassation dans cette décision.
Quid des irrégularités non examinées par le premier JLD ?
Un point demeure cependant problématique à la lecture de l’arrêt de la Cour de cassation. Qu’en sera-t-il d’une irrégularité préexistant au premier contrôle du JLD mais qui ne serait pas venue à sa connaissance ? Lors du contrôle suivant, le JLD pourrait-il quand même, considérant que l’irrégularité en question n’a pas déjà fait l’objet d’un examen, se fonder sur elle pour prononcer la mainlevée ? L’arrêt de la Cour de cassation semble le proscrire en affirmant qu’aucune irrégularité de la procédure de soins psychiatriques sans consentement, antérieure à une audience à l’issue de laquelle le juge des libertés et de la détention se prononce sur la mesure, ne peut être soulevée lors d’une instance ultérieure devant ce même juge, et non qu’aucune irrégularité déjà examinée par le juge ne peut être soulevée lors d’une instance ultérieure. Il existerait alors une forme d’exigence d’unicité de l’instance dans la procédure de contrôle des soins psychiatriques sans consentement : lorsqu’un contrôle du JLD intervient, il faut impérativement soulever toutes les irrégularités envisageables pour la période sur laquelle porte le contrôle car il ne sera plus possible de le faire dans une instance ultérieure.
Cass. 1ère civ., 19 octobre 2016, n° 16-18849
 
Cour de cassation
chambre civile 1
Audience publique du mercredi 19 octobre 2016
N° de pourvoi: 16-18849
Publié au bulletin Rejet

Mme Batut (président), président
SCP Lesourd, SCP de Nervo et Poupet, avocat(s)



Texte intégral

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le moyen unique :

Attendu, selon l'ordonnance attaquée rendue par un premier président (Paris, 14 avril 2016), et les pièces de la procédure, que Mme X... a été admise en soins psychiatriques sans consentement, le 25 février 2016, sous le régime de l'hospitalisation complète, en application d'une décision du directeur d'établissement prise sur le fondement de l'article L. 3212-3 du code de la santé publique ; que, le 7 mars, le juge des libertés et de la détention a autorisé le maintien de cette hospitalisation ; que, le 22 mars, la patiente a formé une demande de mainlevée de la mesure ;

Attendu que Mme X... fait grief à l'ordonnance d'autoriser le maintien de son hospitalisation complète, alors, selon le moyen :

1°/ que nul ne peut être privé de sa liberté ; qu'une personne ne peut faire l'objet d'un internement en hôpital psychiatrique, sous le régime de l'hospitalisation complète sous contrainte, sur décision du directeur d'un établissement de soins, que si ses troubles mentaux rendent son consentement impossible et si son état mental impose une surveillance médicale permanente justifiant un tel internement ; que la décision d'admission du directeur de l'établissement de soins doit être accompagnée de deux certificats médicaux, dont le premier doit émaner d'un médecin n'exerçant pas dans l'établissement accueillant le malade ; qu'en l'espèce, le premier certificat médical a été établi par le docteur Y..., médecin psychiatre au sein du centre hospitalier Ballanger, le second certificat étant établi par un autre médecin du même centre ; que Mme X... a donc été internée contre sa volonté, sans que soient respectées les dispositions légales ; qu'en statuant comme il l'a fait, le conseiller délégué a violé, ensemble, l'article L. 3212-1 du code de la santé publique et l'article 5, 1° de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ que l'acte de notification de la décision d'internement psychiatrique mentionne que la notification n'a pu avoir lieu, la patiente étant « sédatée » ; qu'aucun élément du dossier ne permet de s'assurer que Mme X... a pu avoir connaissance des voies et délais de recours ; que, de ce fait, en statuant comme il l'a fait, le conseiller délégué a, de plus fort, violé les articles L. 3212-1 du code de la santé publique et 5, 1° de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ que les irrégularités initiales de la mise en détention de Mme X... n'ont pu être « couvertes » par la décision de prolongation prononcée par le juge de la liberté et de la détention en date du 7 mars 2016, obtenue par le directeur du centre hospitalier, sans aucun certificat d'un médecin extérieur à l'établissement et sans que la personne internée ait eu la possibilité de contester la décision initiale de mise en détention ; que le conseiller délégué a, pour cette troisième raison, violé les articles L. 3212-1 du code de la santé publique et 5, 1° et 6, 1° de la Convention européenne des droits de l'homme ;

4°/ que le certificat initial du docteur Y... n'indiquait pas que les troubles mentaux de l'intéressée rendaient le consentement impossible ; que dès lors, en statuant comme il l'a fait, le conseiller délégué a violé, de plus fort, les articles L. 3212-1 du code de la santé publique et 5, 1° de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu qu'à peine d'irrecevabilité, prononcée d'office, aucune irrégularité de la procédure de soins psychiatriques sans consentement, antérieure à une audience à l'issue de laquelle le juge des libertés et de la détention se prononce sur la mesure, ne peut être soulevée lors d'une instance ultérieure devant ce même juge ; qu'ayant constaté que la décision initiale d'hospitalisation complète avait été soumise au contrôle de plein droit du juge des libertés et de la détention, le premier président a, par ces seuls motifs, exactement décidé que la procédure avait été validée par l'ordonnance de ce juge prescrivant la poursuite de la mesure ; que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;

Compte des détenus : feu vert pour les retenues d'office

Compte des détenus : feu vert pour les retenues d'office


Les retenues d'office sur le compte nominatif des détenus, encadrées par un décret publié le 3 novembre, sont de nouveau possibles.

Le Conseil d’État avait, le 10 février 2016, annulé une décision implicite de rejet de l’ancienne garde des Sceaux, suite à un recours en excès de pouvoir demandant l’abrogation de  l'article D. 332 du code de procédure pénale qui réglementait la possibilité, pour l’administration pénitentiaire, d’opérer des retenues d’office sur le compte nominatif des détenus. Une telle retenue était considérée comme une privation du droit de propriété, ne pouvant résulter du seul pouvoir réglementaire sans habilitation par une disposition législative (CE, 10 févr. 2016, n° 375426). Depuis, ces retenues sur la part disponible du pécule du détenu, qu'elles concernent des réparations de dommages matériels ou des sommes irrégulièrement détenues, étaient donc devenues impossibles.  Ce défaut de base législative a été corrigé par une modification de l'article 728-1 du CPP, issue de la loi n° 2016–731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé́, le terrorisme et leur financement, et amé́liorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Cet article précise désormais que "l’administration pénitentiaire a la faculté d’opérer d’office sur la part disponible des détenus des retenues en réparation de dommages matériels causés, sans préjudice de poursuites disciplinaires et pénales, s’il y a lieu. Sont, de même, versées au Trésor les sommes trouvées en possession irrégulière des détenus, à moins qu’elles ne soient saisies par ordre de l’autorité judiciaire". Les modalités de ces retenues devant être précisées par décret.
C'est désormais chose faite : le décret n° 2016-1472 du 28 octobre 2016, entré en vigueur le 4 novembre, modifie l'article D. 332 du code de procédure pénale et insère un nouvel article D. 332-1cadrant la procédure de décision de ces retenues et leurs notifications aux détenus, qui sont donc de nouveau possibles.




Article D332
Les retenues de valeurs pécuniaires en réparation de dommages matériels causés en détention, mentionnées au deuxième alinéa du I de l'article 728-1, sont prononcées par décision du chef d'établissement.
Cette décision mentionne le montant de la retenue et en précise les bases de liquidation. Le montant de la retenue est strictement nécessaire à la réparation du dommage constaté.
La décision est notifiée à la personne détenue et au régisseur des comptes nominatifs. Ce dernier procède à la retenue sur la part disponible du compte nominatif de la somme mentionnée dans la décision du chef d'établissement. Il verse au Trésor public les sommes retenues.

Article D332-1
Les sommes d'argent trouvées en possession irrégulière des personnes détenues, mentionnées au deuxième alinéa du I de l'article 728-1, acquises ou introduites irrégulièrement, sont transmises, sur décision du chef d'établissement, au régisseur des comptes nominatifs qui procède au versement des sommes au Trésor public. La décision est notifiée à la personne détenue.