jeudi 25 octobre 2012

le consentement du patient sous contrainte et le juge des référés


Une affaire particulièrement intéressante (commentaire publié au JCP adm 2012, chron. 2321). 

Par ordonnance, le juge des référés vient d’enjoindre l’équipe soignante du CHS de Rennes à ne pas augmenter la dose de médicaments qu’elle prévoyait d’injecter régulièrement et sans limitation de durée à une patiente.
S’il estime qu’il ne relève pas de sa compétence de se prononcer sur le principe ou les modalités d’une hospitalisation complète, le magistrat rennais a par contre considéré qu’une prescription médicamenteuse lourde et non consentie constituait une décision manifestement illégale portant directement atteinte aux droits fondamentaux du malade.
Il ne permet aux soignants d’y recourir qu’en cas de « situation extrême mettant en jeu le pronostic vital ». Cette injonction vient nourrir le débat sur la prise en charge des malades psychiatriques et sur les limites du contrôle juridictionnel.
Qu’est-ce qu’une mauvaise prescription médicale ?

TA de Rennes, 18 juin 2012, n°1202373, Madame A. contre CHS Guillaume Régnier
[texte de l’ordonnance]
Considérant qu'aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »;

Sur les conclusions relatives aux permissions de sortie :
Considérant que la contestation de la décision fixant ou modifiant les conditions dans lesquelles une personne atteinte de troubles mentaux, qui a fait l’objet d’une hospitalisation d’office dans un établissement spécialisé, dans les conditions aujourd’hui fixées par les dispositions des articles L. 3213-1 et suivants du code de la santé publique relatifs à l’admission en soins psychiatrique sur décision du représentant de l’Etat, y est soignée et retenue, est soumise à des règles de répartition des compétences entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire identiques à celles applicables de la décision d’hospitalisation, dans la mesure où ces modalités sont le corollaire de cette décision , qui est, en elle-même, une limitation de la liberté fondamentale d’aller et venir ;

Considérant qu’il suit de là qu’il n’appartient qu’à l’autorité judiciaire d’apprécier le bien fondé d’une décision supprimant ou restreignant les possibilités de sortie d’un malade hospitalisé sur décision du représentant de l’Etat, le juge administratif restant compétent pour connaître seulement de sa régularité qui, en l’espèce, n’est pas contestée par Mme A. ; qu’ainsi, et dans cette limite, le juge administratif des référés est incompétent pour connaître des conclusions de la requête de cette dernière lui demandant d’ordonner au centre hospitalier spécialisé en psychiatrie Guillaume Régnier de rétablir son régime antérieur de permissions de sortie ;

Sur les conclusions relatives à l’augmentation des doses de Risperdal :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme Nadège A., hospitalisée au centre hospitalier spécialisé en psychiatrie Guillaume Régnier de Rennes depuis 2009, date à laquelle elle y a été transférée, a bénéficié jusqu’au 1er juin 2012 de permissions de sortie quotidiennes et, deux fois par semaine, de permissions de soirée ; qu’il est constant qu’elle est traitée, depuis des années, à raison d’une injection bimensuelle de Risperdal dosé à 37,5 mg ; qu’elle s’oppose, en expliquant que les effets secondaires lui en sont pénibles à l’excès, à l’augmentation du dosage, que les médecins du centre hospitalier entendent porter à 50 mg sans limitation de durée ; que, présente à l’audience, elle a réitéré cette opposition clairement et en ayant manifestement une pleine connaissance des conséquences de son refus ; que les effets secondaires qu’elle indique ressentir au dosage actuel et dont elle craint l’aggravation en cas d’augmentation de la dose injectée pour une durée non limitée, qui sont vraisemblables, non contestés, et corroborés par la littérature spécialisée, sont de nature à donner un caractère de gravité suffisante à un tel acte s’il est accompli sans son consentement ; que l’imminence de la réalisation de la première injection, prévue initialement pour le lendemain de la saisine du juge des référés, démontre que la condition d’urgence est également satisfaite ;

Considérant que l'article 16-3 du code civil dispose : « Il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité thérapeutique pour la personne./ Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir » ; qu'aux termes de l'article L. 1111-4 du code de la santé publique : « Toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu'il lui fournit, les décisions concernant sa santé. Le médecin doit respecter la volonté de la personne après l'avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d'interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d'accepter les soins indispensables. Il peut faire appel à un autre membre du corps médical. Dans tous les cas, le malade doit réitérer sa décision après un délai raisonnable. Celle-ci est inscrite dans son dossier médical. …Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment…. Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des dispositions particulières relatives au consentement de la personne pour certaines catégories de soins ou d'interventions. » ;

Considérant que le droit pour le patient majeur de donner, lorsqu'il se trouve en état de l'exprimer, son consentement à un traitement médical revêt le caractère d'une liberté fondamentale ; que le centre hospitalier spécialisé en psychiatrie Guillaume Régnier n’invoque, en défense, aucune disposition particulière qui, en l’espèce, l’exonérerait de l’obligation de recueillir le consentement du patient avant de procéder à une injection dans l’organisme de Mme A. ; que la circonstance qu’elle soit hospitalisée sur décision du représentant de l’Etat et dans le cadre d’un contrôle judiciaire décidé par le juge d’instruction de Coutances est sans incidence sur la nécessité de recueillir son consentement dès lors qu’il n’est pas contesté qu’elle est en état de l’accorder ou de le refuser ; que le défenseur du centre hospitalier a d’ailleurs confirmé, à l’audience, qu’à sa connaissance le refus de Mme A. de supporter l’augmentation des doses ne posait aucun problème particulier au regard de ses risques de survie mais, simplement, qu’une telle prescription, par des médecins hautement spécialisés et compétents, ne pouvait qu’être dans l’intérêt de son traitement ; qu’au surplus les décisions prises en ce qui concerne la suppression de ses permissions de sortie permettent de plus fort d’exclure que le maintien du dosage à son niveau antérieur puisse mettre en péril sa survie ou représenter un risque quelconque pour d’autres personnes ; que la réalisation à intervalle régulier d’une injection dans son organisme en dépit de son refus serait donc manifestement illégale ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les conditions fixées par les dispositions précitées de l’article L. 521-2 du code de justice administrative sont remplies ; qu’il y a lieu dès lors d’enjoindre au centre hospitalier spécialisé en psychiatrie Guillaume Régnier de s’abstenir de procéder à l’augmentation envisagée du dosage de Risperdal dans les injections bimensuelles qui sont opérées sur la personne de Mme A. ; que cette injonction cessera toutefois de s’appliquer si celle-ci venait à se trouver dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital qu’il appartiendra au médecin lui prodiguant des soins d’apprécier ; qu’en tout état de cause, l’article L. 521-4 de ce même code dispose que : « Saisi par toute personne intéressée, le juge des référés peut, à tout moment, au vu d'un élément nouveau, modifier les mesures qu'il avait ordonnées ou y mettre fin » ; qu’il appartiendrait éventuellement au centre hospitalier, si le fait de ne pas augmenter les doses avait des conséquences qu’il n’a pas exposées jusqu’à ce jour, de saisir le juge des référés pour voir modifier la présente injonction ;

O R D O N N E :
Article 1er : Il est enjoint au centre hospitalier spécialisé en psychiatrie Guillaume Régnier de ne pas procéder à l’augmentation de la dose de Risperdal envisagée. Cette injonction cessera de s’appliquer si Mme A. venait à se trouver dans une situation extrême mettant en jeu un pronostic vital.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

l'avis du contrôleur des lieux de privation de liberté sur la semi liberté

en lien l'avis du CGLPL relatif à la mise en œuvre de la semi liberté


Un constat :"Les semi-libres représentent 20 % des personnes écrouées qui ne sont pas hébergées en détention ordinaire et moins de 3 % des détenus de droit commun. Si leur nombre au 1er janvier 2012 s’est accru par rapport à l’année précédente, le nombre de mesures de semi-liberté décidées depuis quatre ans décroît régulièrement (– 16 % par rapport à 2008). C’est là un paradoxe dû vraisemblablement en partie à l’essor de la surveillance électronique, mesure d’aménagement bien maigre, dans laquelle n’est prévu le plus souvent aucun accompagnement social. La semi-liberté, peine ordonnée à titre probatoire, est par contraste un instrument très utile, bien conçu dans son principe, qui peut contribuer très significativement à la réinsertion des personnes condamnées et à la prévention de la récidive".

Principales remarques de cet avis:

- Une insuffisance du nombre de places disponibles : le taux d'occupation est supérieur à celui des établissements de droit commun : "Au 1er janvier 2012, 1 857 personnes sont placées sous ce régime. La direction de l’administrationpénitentiaire recense onze centres de semi-liberté et sept quartiers de semi-liberté offrant 768 places, soit un taux d’occupation de 241 %, supérieur au taux d’occupation des établissements de droit commun") ;
- Des locaux souvent inadaptés, parfois insalubres où règne le désordre : Remarques à propos des faiblesses des règlements intérieurs : absence fréquente de règlement spécifique ou de dispositions particulières comprises dans le règlement intérieur ;
- Une carence des soins : "S’agissant des constats de l’état de santé et des soins à dispenser pour des pathologies, le semi-libre n’a plus accès aux dispositifs des établissements pénitentiaires. Il lui faut donc trouver les ressources nécessaires (dans une agglomération dont, souvent, il ignore tout). Il lui faut une couverture sociale : certains établissements, mais non la majorité, ont passé des conventions avec la caisse primaire d’assurance-maladie pour accélérer l’établissement des dossiers nécessaires. Il faut aussi des soins de proximité : des établissements ont passé convention avec des centres de soins (municipaux, par exemple) ; mais pas tous. Des centres de soins n’admettent pas les semi-libres, parce qu’ils estiment que ces derniers ne sont pas résidents de la commune.
S’agissant des obligations de soins imposées par les magistrats (notamment dans les hypothèses d’addiction), les centres spécialisés sont souvent saturés et les délais d’attente se chiffrent en semaines ou en mois. Comme la semi-liberté ne dépasse pas elle-même quelques mois, les obligations ne sont pas du tout, ou seulement en partie, suivies d’effet".

- Les travailleurs sociaux (conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation – CPIP) sont en nombre insuffisant.
- Une difficulté d'accès au travail ou à une formation, et a fortiori à la recherche d'un emploi;
- L'inaccessibilité de la mesure de semi-liberté pour les étrangers détenus : "La semi-liberté ne peut être accordée que si les personnes auxquelles elle s’applique disposent des papiers nécessaires pour accéder à un emploi. La pratique des préfectures qui consiste à ne pas renouveler les titres de séjour des étrangers détenus, en résidence régulière lors de leur incarcération, et qui, par hypothèse, sont appelés à rester en France, privent de fait un certain nombre de ces étrangers de la possibilité de bénéficier d’une mesure de semi-liberté (sans titre de séjour régulier, pas de travail possible, donc pas de projet d’insertion pouvant être approuvé par le juge). Il y a là une discrimination qui n’a pas de justification au regard de la sanction pénale. Il doit y être mis fin".
- réforme indispensable de  la discipline applicable aux semi-libres : les placements en cellules "d'attente" (qui sont en fait des cellules disciplinaires) interviennent sans procédure disciplinaire, sur simple décision administrative, le plus souvent au retour du travail le soir. Aucune visite médicale n'est organisée pour vérifier la compatibilité de l'état de santé de la personne avec le placement en cellule. Les téléphones cellulaires leur sont par ailleurs interdits, alors même qu'aucun centre ou quartier visité ne comporte de "point-phone", contrairement au droit donné aux personnes détenues de téléphoner (L. n° 2009-1436, 24 nov. 2009, art. 39). des difficultés relatives au droit de visite.
- "Enfin, une des matières les plus sérieuses relatives à la semi-liberté est relative au rôle qu’y jouent les
magistrats. Les délais entre la décision d’un juge de l’application des peines de placer un détenu dans un centre de semi-liberté sont certes moins longs (sur dix-huit cas examinés, treize mois en moyenne). Ils sont néanmoins exagérés et compromettent des projets d’insertion (une place auprès d’un employeur par exemple) que l’intéressé et son conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation ont pu imaginer.
Des projets de détenus sont également fortement mis en cause par les délais dans lesquels est soumis le
dossier au débat contradictoire nécessaire. Le rythme de l’insertion, en raison de la situation de l’emploi qui
prévaut et de la difficulté intrinsèque liée à la qualité de détenu, est souvent beaucoup plus rapide que celui des procédures destinées à l’accepter.
De manière générale, l’insuffisance du nombre de magistrats et de travailleurs sociaux rend illusoire une
prise en charge individualisée des semi-libres".