mardi 28 février 2012

Soins psychiatrique aux Détenus: CEDH, 23 février 2012, n° 27244/09, aff. G. c. France


sur la brève de l'observatoire international de prison: lien

Article 3 et 6 de la CEDH:
Atteint d'une psychose chronique de type schizophrénique, G. a alterné des passages en prison et les hospitalisations psychiatriques entre 1996 et 2004. Selon lui, les retours en détention qui faisaient suite à chaque amélioration de son état de santé constituaient un traitement inhumain et dégradant contraire à l'article 3 de la Convention. 
La Cour estime que l'alternance des soins en prison ou dans un établissement psychiatrique et le maintien en détention du requérant sur une période de quatre ans ont entravé le traitement médical que son état de santé exigeait et lui a infligé une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention. 
Par conséquent les juges de Strasbourg concluent à un traitement inhumain et dégradant et à la violation par la France de l'article 3 de la Convention.
En résumé: § 77.  "Si les hospitalisations d’office ponctuelles du requérant ont permis d’éviter la survenance d’incidents qui auraient pu mettre en péril son intégrité physique et mentale ainsi que celle d’autrui, l’extrême vulnérabilité du requérant appelait cependant, aux yeux de la Cour, des mesures aptes à ne pas aggraver son état mental, ce que n’ont pas permis les nombreux allers-retours de celui-ci entre la détention ordinaire et ses hospitalisations [...]".
78.  En premier lieu, la Cour est frappée par la répétition et la fréquence des hospitalisations de l’intéressé. Les nombreuses périodes de soins délivrés à la fois hors du milieu carcéral dans le cadre des hospitalisations d’office et au sein du SMPR (paragraphe 76 ci-dessus) soulignaient le caractère grave et chronique des troubles mentaux du requérant. Les décisions d’hospitalisations dans un établissement de santé prises à l’égard du requérant conformément à l’article D. 398 du code de procédure pénale en 2007, 2008 et 2009 étaient ordonnées chaque fois que son état de santé n’était plus compatible avec la détention. Il retournait ensuite soit au sein du SMPR de la prison soit en cellule ordinaire jusqu’à ce que son état se dégrade à nouveau. Dans ces conditions, il était vain d’alterner les séjours à l’hôpital psychiatrique et en prison, les premiers étant trop brefs et aléatoires, les seconds incompréhensibles et angoissants pour le requérant, dangereux pour lui-même et autrui (paragraphes 38 et 40 ci-dessus). La cour observe ainsi que l’alternance des soins, en prison et dans un établissement spécialisé, et de l’incarcération faisait manifestement obstacle à la stabilisation de l’état de l’intéressé, démontrant ainsi son incapacité à la détention au regard de l’article 3 de la Convention.
79.  En second lieu, la Cour relève que les conditions matérielles de détention du requérant au sein du SMPR des Baumettes où il a séjourné à de nombreuses reprises ont été sévèrement critiquées par les autorités nationales, dont la Cour des comptes qui n’a pas hésité à les qualifier de conditions indignes (paragraphe 39 ci-dessus ; voir également, paragraphes 38 et 40 ci-dessus). Combinées à la rudesse du milieu carcéral (paragraphe 20 ci-dessus), ces conditions n’ont pu qu’aggraver son sentiment de détresse, d’angoisse et de peur.
80.  Ensemble, et tout en étant consciente des efforts déployés par les autorités pour prendre en charge les troubles mentaux de l’intéressé et de la difficulté d’organiser des soins aux détenus souffrant de troubles mentaux (paragraphes 38, 40 et 41 ci-dessus), la Cour estime que ces éléments conduisent à considérer que le maintien en détention du requérant dans les conditions décrites ci-dessus, et sur une longue période, de 2005 à 2009, a entravé le traitement médical que son état psychiatrique exigeait et lui a infligé une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (mutatis mutandis, Sławomir Musiał, précité, § 96).
81.  La Cour rappelle que selon les Règles pénitentiaires européennes de 2006 (Recommandation REC(2006)2), les détenus souffrant de troubles mentaux graves doivent pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié (Point 12.1 de l’annexe à la Recommandation Rec (2006)2). Dans un arrêt récent, elle a attiré l’attention des autorités sur l’importance de ces recommandations, fussent-elles non contraignantes pour les Etats membres (Sławomir Musiał, précité, § 96).
82.  Partant, la Cour conclut en l’espèce à un traitement inhumain et dégradant et à la violation de l’article 3 de la Convention.



EXTRAITS DE L'AFFAIRE
1.  Thèses des parties
68.  Le représentant du requérant explique que c’est dès le début que l’incarcération fut problématique pour lui et pour l’administration au point de le mettre en danger, ainsi que ses codétenus et le personnel pénitentiaire. Le contexte de son incarcération en 2005 est significatif car, alors que le requérant demandait à être hospitalisé, le personnel de l’hôpital a provoqué l’intervention de la police. D’emblée, le problème des malades difficiles a été posé et la carence administrative avérée. Il fait valoir que la surveillance de ces malades doit être constante car la prise du traitement entraîne une amélioration, celle-ci suscite la cessation de la prise du traitement et la rechute. Or la solution pénale, si elle est satisfaisante pour l’opinion publique, moins coûteuse et plus souple, ne l’a pas été pour le requérant. Outre le manque de soins qui crée en lui-même une souffrance, l’incarcération et la sporadicité du traitement qu’elle entraîne créent un danger. Il affirme que le requérant a souvent été victime de sa maladie, mais aussi victime de ses codétenus et de l’administration (paragraphe 20 ci-dessus). La seule réaction a été alors de l’isoler en cellule au sein du SMPR.
69.  Les incessants allers-retours du requérant entre la détention où son état s’aggravait et l’hôpital où son état s’améliorait constituent en eux-mêmes, selon son avocat, un traitement contraire à l’article 3.
70.  Le Gouvernement soutient que le requérant a bénéficié de soins particuliers appropriés à son état de santé et à sa personnalité asociale et violente. Il a effectué à chaque fois et aussi longtemps que le corps médical l’a jugé nécessaire, des séjours au SMPR et en hôpital psychiatrique. Il a été hospitalisé à sept reprises au centre hospitalier Édouard Toulouse à Marseille. En outre, alors qu’il était incarcéré, le requérant a séjourné à de très nombreuses reprises au SMPR des établissements pénitentiaires d’affectation ainsi qu’en unité hospitalière sécurisée interrégionale. Le Gouvernement réfute l’idée que l’alternance de périodes dans les différents établissements psychiatriques et pénitentiaires pourrait constituer un traitement inhumain. C’est au contraire la preuve de toute l’attention portée par les médecins à l’état mental du requérant. Le Gouvernement ajoute que sur le plan somatique, le requérant a bénéficié des examens médicaux nécessaires : consultation d’un pneumologue et d’un ophtalmologue en 2007, extractions dentaires, intervention en dermatologie en juin 2008. L’ensemble de ces éléments font conclure au Gouvernement à l’adéquation des soins de santé prodigués au requérant avec les règles pénitentiaires européennes (points 43.1, 43.3 et 46.1).
2.  Appréciation de la Cour
71.  La Cour rappelle que, selon sa jurisprudence, un traitement doit atteindre un minimum de gravité pour tomber sous le coup de l’article 3. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 91, CEDH 2000-XI, et Peers c. Grèce, no 28524/95, § 67, CEDH 2001-III). Bien que le but du traitement soit un élément à prendre en compte, pour ce qui est de savoir en particulier s’il visait à humilier ou rabaisser la victime, l’absence d’un tel but ne saurait exclure de façon définitive un constat de violation de l’article 3 (Peers, précité, § 74). La Cour renvoie également aux principes généraux relatifs à la responsabilité des Etats quant aux soins de santé des personnes en détention tels qu’ils se trouvent énoncés notamment dans l’arrêt Sławomir Musiał c. Pologne (no 28300/06, §§ 85-88, 20 janvier 2009). Dans cet arrêt, elle a conclu, à propos d’un détenu souffrant de troubles mentaux graves et chroniques, dont la schizophrénie, que si le maintien de celui-ci en détention n’était pas incompatible en lui-même avec son état de santé, son placement en revanche dans un établissement inapte à l’incarcération des malades mentaux posait de graves problèmes au regard de la Convention. Elle releva en outre que ce détenu ne bénéficiait pas d’un traitement spécialisé, en particulier d’une surveillance psychiatrique constante, et que ces faits combinés à des conditions matérielles de détention inappropriées, avaient « manifestement » nui à sa santé et à son bien-être et constituaient un traitement inhumain et dégradant (§ 97).
72.  La Cour a déjà eu l’occasion de se pencher sur la compatibilité du maintien en détention des personnes souffrant de pathologies graves, tant physiques (Mouisel c. France, no 67263/01, § 42, CEDH 2002-IX) que mentales (Rivière c. France, nº 33834/03, § 64, 11 juillet 2006). La question centrale posée dans ces affaires est de déterminer si le milieu carcéral est en soi inadapté à la condition d’un individu souffrant de pathologies invalidantes et si l’épreuve de la détention en tant que telle s’avère particulièrement pénible en raison de l’incapacité de l’individu d’endurer une telle mesure (Kotsaftis c. Grèce, no 39780/06, § 50, 12 juin 2008). Dans le cas des malades mentaux, il faut tenir compte de leur vulnérabilité et de leur incapacité, dans certains cas, à se plaindre de manière cohérente ou à se plaindre tout court des effets d’un traitement donné sur leur personne (Sławomir Musiał, précité, § 87).
73.  La Cour renvoie également au constat fait à l’échelle nationale de l’insuffisance de la prise en charge psychiatrique en détention et de l’urgence à faire en sorte que les détenus qui souffrent de graves troubles mentaux soient hospitalisés (paragraphes 36, 38 et 40 ci-dessus ; voir également l’arrêt Rivière précité).
74.  Pour ce qui est de la présente affaire, la Cour note que le problème doit être distingué de celui de la comparution devant la cour d’assises. Elle observe que la gravité de la maladie dont est atteint le requérant est incontestée. Il souffre de troubles mentaux importants et chroniques, notamment sa schizophrénie (délires psychotiques, hallucinations), maladie de longue durée qui nécessite un traitement au long cours (Bensaid c. Royaume-Uni, no 44599/98, § 36, CEDH 2001-I) et qui engendre un risque de suicide connu et élevé (Keenan c. Royaume-Uni, no 27229/95, § 94, CEDH 2001-III). Elle relève également que l’intéressé a été au cours de sa détention, à de nombreuses reprises, victime de rechutes comme en témoignent ses nombreuses hospitalisations d’office (paragraphes 18, 22, 26, 28 et 30 ci-dessus). Or, la Cour a déjà jugé, certes dans d’autres circonstances, que les souffrances qui accompagnent les rechutes d’un malade schizophrène pourraient en principe relever de l’article 3 (Bensaid, précité, § 37).
75.  La Cour relève encore que tout au long de ces quatre années, les médecins ne cessèrent de recommander, outre un traitement médicamenteux « essentiellement à visée thérapeutique par rapport aux troubles que [le requérant] présente » (paragraphe 23 ci-dessus) un suivi psychiatrique spécialisé, durable et soutenu y compris en unité pour malades difficiles (paragraphes 11, 12 et 30) au motif que ses troubles pouvaient compromettre la sûreté des personnes en raison de l’imprévisibilité de ses passages à l’acte.
76.  A cet égard, la Cour observe que le requérant a été soigné fréquemment et qu’il a bénéficié de soins et de traitements médicaux dispensés en détention. Les rapports des médecins indiquent en effet que le requérant était régulièrement traité à l’aide de médicaments (paragraphes 23 et 30 ci-dessus) et qu’il était placé au sein du SMPR de l’établissement pénitentiaire dans lequel il se trouvait dès que sa détention ordinaire dans la prison n’était pas compatible avec son état de santé. Il fut ainsi placé en SMPR plus de douze fois pour des séjours de quelques semaines entrecoupés par des retours en détention normale au sein de la maison d’arrêt des Baumettes (paragraphes 11, 18, 22, 26 et 29 ci-dessus). Il fit par ailleurs l’objet d’hospitalisations d’office en application de l’article D. 398 du CPP à sept reprises (paragraphes 30 et 70 ci-dessus). Ces hospitalisations d’office furent ordonnées alors que l’intéressé se trouvait en proie à de nombreuses périodes d’anxiété difficilement compatibles avec la détention, y compris dans le service régional de psychiatrie pénitentiaire, en 2007, 2008 et 2009 (paragraphes 18, 22, 26 et 28 ci-dessus). Ainsi, en 2008, l’expert précisa que les séjours psychiatriques avaient été ordonnés « par rapport à des moments de décompression anxio-délirante à thème notamment persécutoire, et pour des séjours de décompression par rapport aux nombreux séjours qu’il a déjà effectués aux Baumettes dans le cadre d’un SMPR » (paragraphe 23 ci-dessus). Début 2009, le requérant présenta « une recrudescence anxieuse avec mise en avant de ses idées délirantes et anciennes (délire de grandeur et de paternité) ». Le 4 septembre 2009, veille de son procès en appel et de la reconnaissance de son irresponsabilité pénale, il fut également admis en hospitalisation d’office pour « état fluctuant, avec des épisodes d’excitation psychique à tonalité délirante alternant avec des périodes d’affaissement thymique et des ruminations anxieuses » (paragraphe 30 ci-dessus).
77.  Si les hospitalisations d’office ponctuelles du requérant ont permis d’éviter la survenance d’incidents qui auraient pu mettre en péril son intégrité physique et mentale ainsi que celle d’autrui, l’extrême vulnérabilité du requérant appelait cependant, aux yeux de la Cour, des mesures aptes à ne pas aggraver son état mental, ce que n’ont pas permis les nombreux allers-retours de celui-ci entre la détention ordinaire et ses hospitalisations (voir, par exemple, a contrario Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, §§ 65-66, Recueil des arrêts et décisions 1998-V ; voir également paragraphe 36 ci-dessus).
78.  En premier lieu, la Cour est frappée par la répétition et la fréquence des hospitalisations de l’intéressé. Les nombreuses périodes de soins délivrés à la fois hors du milieu carcéral dans le cadre des hospitalisations d’office et au sein du SMPR (paragraphe 76 ci-dessus) soulignaient le caractère grave et chronique des troubles mentaux du requérant. Les décisions d’hospitalisations dans un établissement de santé prises à l’égard du requérant conformément à l’article D. 398 du code de procédure pénale en 2007, 2008 et 2009 étaient ordonnées chaque fois que son état de santé n’était plus compatible avec la détention. Il retournait ensuite soit au sein du SMPR de la prison soit en cellule ordinaire jusqu’à ce que son état se dégrade à nouveau. Dans ces conditions, il était vain d’alterner les séjours à l’hôpital psychiatrique et en prison, les premiers étant trop brefs et aléatoires, les seconds incompréhensibles et angoissants pour le requérant, dangereux pour lui-même et autrui (paragraphes 38 et 40 ci-dessus). La cour observe ainsi que l’alternance des soins, en prison et dans un établissement spécialisé, et de l’incarcération faisait manifestement obstacle à la stabilisation de l’état de l’intéressé, démontrant ainsi son incapacité à la détention au regard de l’article 3 de la Convention.
79.  En second lieu, la Cour relève que les conditions matérielles de détention du requérant au sein du SMPR des Baumettes où il a séjourné à de nombreuses reprises ont été sévèrement critiquées par les autorités nationales, dont la Cour des comptes qui n’a pas hésité à les qualifier de conditions indignes (paragraphe 39 ci-dessus ; voir également, paragraphes 38 et 40 ci-dessus). Combinées à la rudesse du milieu carcéral (paragraphe 20 ci-dessus), ces conditions n’ont pu qu’aggraver son sentiment de détresse, d’angoisse et de peur.
80.  Ensemble, et tout en étant consciente des efforts déployés par les autorités pour prendre en charge les troubles mentaux de l’intéressé et de la difficulté d’organiser des soins aux détenus souffrant de troubles mentaux (paragraphes 38, 40 et 41 ci-dessus), la Cour estime que ces éléments conduisent à considérer que le maintien en détention du requérant dans les conditions décrites ci-dessus, et sur une longue période, de 2005 à 2009, a entravé le traitement médical que son état psychiatrique exigeait et lui a infligé une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention (mutatis mutandis, Sławomir Musiał, précité, § 96).
81.  La Cour rappelle que selon les Règles pénitentiaires européennes de 2006 (Recommandation REC(2006)2), les détenus souffrant de troubles mentaux graves doivent pouvoir être placés et soignés dans un service hospitalier doté de l’équipement adéquat et disposant d’un personnel qualifié (Point 12.1 de l’annexe à la Recommandation Rec (2006)2). Dans un arrêt récent, elle a attiré l’attention des autorités sur l’importance de ces recommandations, fussent-elles non contraignantes pour les Etats membres (Sławomir Musiał, précité, § 96).
82.  Partant, la Cour conclut en l’espèce à un traitement inhumain et dégradant et à la violation de l’article 3 de la Convention.
III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
83.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A.  Dommage
84.  Le requérant réclame 150 000 euros (EUR) au titre du préjudice physique et moral qu’il aurait subi du fait des conditions de sa détention et de la privation des soins de santé ainsi que du préjudice caractérisé par ses comparutions et les mauvais traitements subis.
85.  Le Gouvernement juge les demandes infondées et excessives. Le Gouvernement considère que, si la Cour venait à constater une violation de l’article 6 § 1 ou 3 de la Convention, il serait raisonnable d’allouer 3 000 EUR au requérant pour le préjudice moral subi.
86.  La Cour considère que l’intéressé a pu éprouver de l’angoisse en raison du sentiment qu’il a eu de ne pas bénéficier, en détention, des soins et d’un encadrement appropriés à son état de santé. Il a donc subi un préjudice moral qui ne peut être uniquement réparé par le constat de violation. Statuant en équité, la Cour alloue au requérant 10 000 EUR de ce chef (mutatis mutandis, Sławomir Musiał, précité, § 112).

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de la violation alléguée de l’article 6 § 1 du fait de la comparution devant la cour d’assises et du maintien en détention de 2005 à 2009 ;
2  Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 de la Convention ;
3.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention ;
4.  Dit
a)  que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention
i)  10 000 EUR (dix mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour dommage moral ;
ii)  5 000 EUR (cinq mille euros), plus tout montant pouvant être dû par le requérant à titre d’impôt, pour frais et dépens ;
b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
5.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 23 février 2012, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

mercredi 22 février 2012

rapport annuel du CGLPL

vient de paraître le rapport annuel du contrôleur général des lieux de privation de liberté
à consulter via le lien suivant: rapport 2011

son plan:
Les thématiques 2011
Cahier 1
Le travail incarcéré
Cahier 2
Les droits sociaux des personnes détenues
Cahier 3
La traçabilité : fichage des personnes détenues
Cahier 4
Le changement de nature des prisons et le concept
Cahier 5
Les fouilles corporelles
Cahier 6
Synthèse des recommandations du CGLPL
L’essentiel de l’activité 2011
Cahier 7
Les principaux avis et les suites données
Cahier 8
Le CGLPL en chiffres, visites et traitement des saisines
Cahier 9
Les moyens d’action, ressources humaines et budgétaires

lundi 20 février 2012

Nouvelle saisine du Conseil constitutionnel à propos du soin sous contrainte



Nouvelle saisine du Conseil constitutionnel à propos de la réforme du soin sous contraint. A défaut d'avoir été saisi avant la promulgation de la loi, les membres du Conseil constitutionnel vont devoir encore une fois se prononcer sur certaines dispositions du Code de la santé publique.
Pour la sixième fois (Cons. const., 26 nov. 2010, n° 2010-71 QPC : JCP A 2010, act. 897. – Cons. const., 9 juin 2011, n° 2011-135/140 QPC : JCP A 2011, act. 455 ; JCP A 2011, 2295. – Cons. const., 6 oct. 2011, n° 2011-174 QPC : JCP A 2011, act. 647 ; JCP A 2011, 2040. – Cons. const., 21 oct. 2011, n° 2011-185 QPC : JurisData n° 2011-022783 et Cons. const., 2 déc. 2011, n° 2011-202 QPC : JurisData n° 2011-027136), une question prioritaire de constitutionnalité va offrir l'occasion de clarifier les droits personnes soignées sous contrainte suite à une décision administrative..
Une association demandait au Conseil d’État d’annuler l’un des quatre décrets d’application de la loi du 5 juillet 2011 et souhaitait par ce biais contester la constitutionnalité de la réforme . Étaient en particulier contester les discriminations entre patients (malades difficiles, irresponsables pénaux et détenus ainsi que les missions confiées au juge des libértés.
Le Conseil d’État (8 février 2012) ne donne pas entièrement raison au requérant, estimant que toutes les questions posées ne présentaient « pas de caractère sérieux » ou avaient déjà été tranchées. Par contre, il renvoie au Conseil constitutionnel (235 QPC) le soin de se prononcer sur quatre dispositions du Code de la santé publique, notamment sur le dispositif de suivi ambulatoire des patients contraints.
A noter qu'après les recours contre les décrets, il faudra trancher les recours probables contre les décisions individuelles qui porteront à la fois sur la constitutionnalité du dispositif mais aussi sur sa conventionnalité. Rien ne permet de garantir aujourd'hui que la loi du 5 juillet 2011 soit conforme à la Convention Européenne des droits de l'Homme..
 (cf. aperçu rapide JCP administration du 2O février 2012):



jeudi 2 février 2012

CEDH et psychiatrie

Une affaire importante CEDH 17 janvier 2012 STANEV contre Bulgarie



dont voici le communiqué de presse:
"L’arrêt de Grande Chambre, définitif, rendu ce jour dans l’affaire Stanev c. Bulgarie (requête no 36760/06) concerne le placement de force d’un homme dans une institution psychiatrique pendant des années. Les bâtiments étaient en très mauvais état et dépourvus de chauffage, les conditions d’hygiène déplorables et la nourriture insuffisante.
La Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu :
violation de l’article 5 § 1 (droit à la liberté et à la sûreté) de la Convention européenne des droits de l’homme à raison de l’irrégularité du placement du requérant dans l’institution en question ;
violation de l’article 5 § 4 en raison de l’impossibilité pour l’intéressé d’introduire un recours permettant à un tribunal de statuer sur la légalité de son placement dans le foyer ;
violation de l’article 5 § 5 en raison de l’impossibilité pour l’intéressé d’obtenir réparation pour son placement irrégulier et l’absence de contrôle par un tribunal de la légalité du placement ;
violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou dégradants) en raison des conditions dans lesquelles le requérant a été contraint de vivre ;
violation de l’article 13 (droit à un recours effectif) en raison de l’impossibilité pour le requérant de demander réparation pour les conditions de vie dégradantes ; et  
violation de l’article 6 § 1 (droit à un procès équitable) de la Convention en ce que le requérant n’a pas eu accès à un tribunal pour demander le rétablissement de sa capacité juridique.

Principaux faits
Le requérant, Rousi Kosev Stanev, est un ressortissant bulgare né en 1956 et résidant à Pastra, dans la municipalité de Rila (sud-ouest de la Bulgarie).
En 2000 et 2001, les tribunaux bulgares déclarèrent M. Stanev partiellement incapable au motif qu’il souffrait de schizophrénie depuis 1975 et que son aptitude à gérer ses affaires ainsi qu’à discerner les conséquences de ses actes était altérée. Les membres de la famille de l’intéressé ayant refusé d’assumer les responsabilités de la curatelle, une fonctionnaire municipale fut désignée curatrice du requérant en 2002.
 Le 10 décembre 2002, sans consulter ou informer M. Stanev, la curatrice décida de le placer dans le foyer pour adultes atteints de troubles mentaux situé près du village de Pastra, dans une zone montagneuse éloignée. L’intéressé y vit depuis lors. Par la suite, le directeur du foyer devint le curateur de l’intéressé. Celui-ci n’était autorisé à quitter le foyer qu’avec l’autorisation du directeur. A une occasion, le requérant n’étant pas rentré
au foyer après une autorisation de sortie, le directeur contacta la police, qui le retrouva.
Il fut alors reconduit au foyer par des employés de l’établissement.
Lors de ses visites officielles en 2003 et 2004, le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) estima que les conditions dans le foyer, construit dans les années 1920, pouvaient être qualifiées de traitement inhumain et dégradant. D’après le CPT, les bâtiments étaient dans un très mauvais état, n’avaient pas l’eau courante et les toilettes, situées dans la cour, étaient délabrées et dans un état déplorable. Les locaux étaient peu chauffés et la nourriture qui ne comprenait ni lait ni oeufs et rarement des fruits et des légumes était insuffisante.
Aucune activité thérapeutique n’était organisée pour les pensionnaires, qui menaient une vie passive et monotone. Des améliorations ne furent apportées au foyer qu’en 2009.
M. Stanev tenta d’obtenir le rétablissement de sa capacité juridique en novembre 2004.
En 2005, se fondant sur un rapport médical du 15 juin 2005 selon lequel le requérant présentait des symptômes de schizophrénie, des procureurs refusèrent d’introduire une action en rétablissement de la capacité juridique au motif que l’intéressé ne pouvait pas s’assumer de manière autonome et que le foyer était la meilleure solution d’accueil pour lui.
M. Stanev demanda en vain au maire de Rila d’introduire une action judiciaire en vue d’obtenir la cessation de sa curatelle. Le recours qu’il forma contre le refus du maire fut rejeté au motif que son curateur aurait pu le former. M. Stanev demanda à plusieurs reprises oralement à son curateur de l’autoriser à quitter le foyer, mais se heurta à des refus.
Le 31 août 2006, un psychiatre privé établit un rapport concluant que le diagnostic de schizophrénie formulé le 15 juin 2005 en ce qui concerne M. Stanev n’était pas exact mais que celui-ci avait tendance à abuser de l’alcool et que les symptômes des deux pathologies pouvaient être confondus. Le rapport précisait également que la santé mentale de M. Stanev s’était améliorée, qu’il n’y avait aucun risque de détérioration et
que le directeur du foyer pensait que l’intéressé pouvait se réintégrer dans la société. Le rapport indiquait par ailleurs que le séjour au foyer était très destructeur pour la santé du requérant, qui risquait de présenter un syndrome d’institutionnalisation.