vendredi 14 mars 2014

Rapport annuel 2013 du contrôleur général des lieux de privation de liberté




Les 20 propositions du rapport:

1/ Les téléphones installés aujourd’hui dans les établissements pénitentiaires permettent des conversations qui ne sont pas entendues de tous.

2/ Les courriers des personnes détenues ne sont ouverts et contrôlés que par le vaguemestre.

3/ Les téléphones cellulaires sont autorisés dans tous les centres de semi-liberté.

4/Une étude doit rapidement préciser les conditions d’emploi des téléphones cellulaires en détention pour déboucher sur une autorisation contrôlée.

5/ Tout détenu qui le demande (directement ou par le biais de son conseil) a le droit de faire visionner les enregistrements de vidéosurveillance des circonstances pour lesquelles il comparaît devant la commission de discipline. Dans cette hypothèse, ces enregistrements sont conservés.

6/ Le paragraphe V et le dernier alinéa du paragraphe VI de l’article 19 du règlement intérieur type des établissements pénitentiaires doivent être abrogés et leur contenu, relatif à la libre expression et au respect des biens des personnes détenues, beaucoup plus précisément défini et assoupli, figurer dans la partie réglementaire (décrets en Conseil d’Etat) du code de procédure pénale.

7/ La mise à disposition (contrôlée) d’Internet doit être assurée dans les lieux de privation de liberté dans lesquels la durée de séjour excède quatre jours (établissements pénitentiaires, établissements hospitaliers, centres de rétention, zones d’attente et, selon des modalités particulières, centres éducatifs fermés). Cette mise à disposition inclut l’accès à la messagerie (également soumis à contrôle éventuel).

8/ L’emploi des moyens de contrainte pour les extractions hospitalières doit baisser de manière drastique ; à cette fin, la responsabilité des escortes ne peut être engagée en cas d’évasion que si les moyens étaient manifestement inappropriés à la personnalité du détenu.

9/ La traçabilité des mises à l’isolement dans les soins psychiatriques hospitaliers est assurée par un registre ad hoc.

10/ Les personnes en garde à vue sont toujours informées de l’existence d’une cabine de douche, s’il en a été conçu une ou plusieurs, dans le commissariat au début de leur garde à vue et elles ont y accès à leur demande, pendant les périodes de repos.

11/ Les femmes conservent leur soutien-gorge en garde à vue, sauf circonstance particulière mentionnée au procès-verbal ; les lunettes sont conservées dans les mêmes conditions.

12/  Toute personne en garde à vue reçoit un gobelet de carton (et non de plastique) afin de pouvoir se désaltérer.

13/ Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile comporte une disposition (partie décrets en Conseil d’Etat) relative aux usages de la chambre de mise à l’écart pendant la durée de la rétention. Les placements font l’objet d’un registre ad hoc.

14/ Les associations agréées pour le soutien des étrangers retenus ont libre accès à la zone d’hébergement de ces étrangers, à l’exclusion du service de nuit.

15/ La limite de 20 kg fixée pour le poids des bagages des personnes éloignées est supprimée, la personne acquittant à ses frais le surcoût éventuel au-delà de 30 kg.

16/ La durée maximale de la rétention d’un étranger est ramenée de quarante-cinq jours à trente-deux jours (mesure tremblante : elle résulte de la loi).

17/ La partie réglementaire (décrets en Conseil d’Etat) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile contient des dispositions relatives aux normes d’habitabilité des zones d’attente dans lesquelles les étrangers sont maintenus.

18/ La procédure de renvoi rapide des étrangers qui ne sont pas admis sur le territoire fait l’objet d’une mention au même code, comportant notamment la durée au cours de laquelle elle peut intervenir. Ces opérations font l’objet d’un procès-verbal contresigné.

19/ Les associations gestionnaires de centres éducatifs fermés présentent à fin d’être agréées un plan et des ressources en matière de formation continue de leurs salariés, étant entendu que l’ouverture du centre est conditionnée à la présence effective d’un nombre minimal d’éducateurs diplômés.

20/ Des normes imposables à tous les centres éducatifs fermés en matière de discipline sont édictées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse



le corps incarcéré web-documentaire



Le corps incarcéré est un web-documentaire qui  fait  le récit du rapport de force entre un homme et le système pénitentiaire.
Au cœur de ce projet se trouve la "volonté politique de voir en quoi la prison parlait de la France et de la société française..."


http://www.lemonde.fr/societe/visuel/2009/06/22/le-corps-incarcere_1209087_3224.html

encadrement des méthodes de maintien de l'ordre dans les lieux privatifs de liberté

 • Cour EDH, 13 février 2014, Tali c/ Estonie, req. n°  66393/10

 

Cette petite note de mon collègue Jean-Manuel Larralde, mis en ligne sur le Site de P.V. Tournier (arpenter le champ pénal: http://pierre-victortournier.blogspot.fr/

  Cour européenne des droits de l'homme, 13 février 2014

par Jean-Manuel Larralde,
professeur de droit public à l’Université de Caen Basse-Normandie
Centre de recherches sur les Droits Fondamentaux et les Evolutions du Droit (EA 2132)


LA COUR LIMITE LES METHODES UTILISABLES POUR MAINTENIR L’ORDRE EN DETENTION

L’utilisation de gaz poivre contre un détenu récalcitrant constitue un traitement inhumain.


« La Cour accepte que l’usage de la force puisse être nécessaire afin de garantir la sécurité en prison, et pour maintenir l’ordre et prévenir le crime en détention. Toutefois, une telle force doit être mise en œuvre uniquement si elle s’avère indispensable et ne doit pas être excessive » (§ 59)

Fidèle à sa ligne jurisprudentielle visant à limiter les effets les plus néfastes de l’emprisonnement et notamment les violences carcérales[1], la Cour de Strasbourg a rendu le 13 février 2014 un arrêt rappelant le nécessaire respect de l’intégrité physique des personnes incarcérées, y compris dans les situations de maintien de l’ordre en détention.

Refusant d’obéir aux gardiens qui lui demandaient de leur remettre son matelas, le requérant, qui purgeait une peine de prison à perpétuité pour meurtre, a été envoyé de manière particulièrement violente en cellule disciplinaire. L’enquête diligentée par l’administration pénitentiaire démontre, en effet, que les gardiens l’ont menotté, frappé avec une matraque télescopique, lui occasionnant de fortes douleurs aux côtes, lui ont aspergé le visage de gaz poivre (sans aucune sommation) et l’ont sanglé sur un lit de contention pendant trois heures et demie. Pour les juridictions internes, ces incidents n’ont démontré aucun usage disproportionné de la force, à l’égard d’un détenu insoumis et particulièrement violent.

Cette analyse n’est nullement partagée par les juges de Strasbourg qui ont considéré à l’unanimité que les agissements des personnels de surveillance constituaient en l’espèce, un traitement inhumain, contraire aux exigences de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Sans contester l’importance du maintien de l’ordre et de la sécurité dans les établissements pénitentiaires[2], la Cour met en avant l’exigence de proportionnalité que doivent respecter les autorités dans leurs actions visant à maintenir l’ordre en détention. A cet égard, la Cour, s’appuyant sur les travaux du Comité européen de prévention de la torture en la matière[3], rappelle avec fermeté que l’utilisation d’un spray au gaz poivre dans un espace confiné entraîne des effets particulièrement néfastes pour la santé, et ne constitue pas un moyen approprié pour immobiliser un détenu, à partir du moment où les gardiens pouvaient utiliser d’autres moyens moins dangereux[4] (§ 78). Par ailleurs, confirmant leur récente jurisprudence Julin c/ Estonie du 29 mai 2012 (et la Règle pénitentiaire européenne 60.2), les juges de Strasbourg indiquent que les moyens de contrainte (tels qu’un lit de contention) doivent être strictement justifiés par les circonstances et ne peuvent en aucun cas constituer une punition. Ils doivent seulement éviter des automutilations, ou protéger des codétenus ou assurer la sécurité de l’établissement (§ 81).

Les solutions de l’arrêt Tali font évidemment écho à l’arrêt Alboréo c/ France du 20 octobre 2011, qui avait conduit la Cour européenne des droits de l’homme à condamner la France pour traitements inhumains et dégradants suite à l’usage excessif de la force contre un détenu lors de l’intervention d’agents d’une équipe régionale d’intervention et de sécurité » (ERIS). Elles pourraient également conduire à d’autres condamnations, concernant notamment l’utilisation des pistolets à impulsion électrique dans les prisons. On sait en effet les fortes réticences exprimées par le CPT à l’encontre de ces armes, dont l’usage devrait être soumis « aux principes de nécessité, de subsidiarité, de proportionnalité, d’avertissement préalable (lorsque cela s’avère possible) et de précaution »[5]. Encore plus précisément, le Comité contre la torture des Nations Unies avait eu l’occasion de rappeler à la France en 2010 qu’il s’inquiétait « de ce que l’usage du pistolet à impulsion électrique (puisse) provoquer une douleur aigüe, constituant une forme de torture, et que, dans certains cas, il (puisse) même causer la mort »[6]. Un usage inconsidéré de telles armes en prison exposerait sans nul doute la France à de nouvelles foudres strasbourgeoises…



[1] Voir également l’arrêt Karabet c/ Ukraine du 17 janvier 2013, Arpenter le champ pénal, 4 mars 2013 ; Concernant les violences entre co-détenus, voir le récent arrêt D.F. c/ Lettonie du 29 octobre 2013, Arpenter le champ pénal, 5 février 2014.
[2] Qui avait notamment conduit la Grande Chambre à déclarer conformes à la Convention de strictes conditions d’isolement prises à l’égard d’un célèbre terroriste, « compte tenu notamment de la personnalité et de la dangerosité hors normes de l’intéressé ». Cour EDH, Ramirez Sanchez c/ France (GC), 4 juillet 2006.
[3] Voir notamment le rapport de visite du CPT en Bosnie-Herzégovine, dans lequel le Comité souligne que le gaz poivre constitue une substance potentiellement dangereuse qui ne doit pas être utilisée dans des espaces confinés. Si cela s’avérait être le cas, les personnes exposées doivent être examinées immédiatement par un médecin et se voir administrer un antidote. Ce type d’arme ne doit en outre jamais être utilisé contre un prisonnier déjà sous contrôle des gardiens. Doc. CPT/Inf (2009) 25, § 79.
[4] § 78. Dans le même sens, les Règles pénitentiaires européennes rappellent que la force utilisée à l’encontre des détenus « doit correspondre au minimum nécessaire et être imposée pour une période aussi courte que possible » (Règle 64.2).
[5] Normes du CPT, CPT/Inf/E (2002) 1 - Rev. 2013, § 69.
[6]  Doc. CAT/C/FRA/CO/4-6/CRP.1§ 30.