jeudi 27 novembre 2014

Responsabilité d’un établissement de santé mentale du fait des actes commis par un patient après la levée de la mesure de contrainte



Responsabilité d’un établissement de santé mentale du fait des actes commis par un patient après la levée de la mesure de contrainte



Reste-ton responsable des actes commis par une personne dont on a plus juridiquement la garde? Pour le dire autrement, un établissement de santé mentale peut-il être responsable des faits commis par un patient après la levée d’une mesure d’hospitalisation complète sous contrainte ? La question mérite d’être posée depuis les réformes législatives de 2011 et 2013 qui instaurent le programme de soins (art. L. 3211-2-1° du CSP).

Les faits de cette affaire sont certes antérieurs à cette réforme mais la réponse apportée par la Cour administrative d’appel demeure d’une actualité brûlante et pose toute une série de questions sur les conséquences possibles des préconisations des psychiatres intervenant dans ces établissements. En l’espèce, un patient avait été hospitalisé sous contrainte une première fois à la demande du préfet entre octobre 2000 et juillet 2001, puis ré-hospitalisé en août 2002, toujours en raison de son comportement, compromettant « la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l'ordre public ». Le 30 septembre 2002, un psychiatre de l’établissement estimait que l’état du patient permettait de lever la mesure de contrainte car il « ne présentait plus d'idées délirantes ni de trouble thymique et que son comportement dans le service était adapté ». Il recommandait que ce dernier, souffrant de « schizophrénie délirante paranoïde », soit suivi par l’établissement en soins libres et qu’il se rende une fois par mois dans les services afin de poursuivre son traitement par injection. Cette préconisation prendrait aujourd’hui, selon toute vraisemblance, la forme d’un programme de soins qui permettrait de maintenir un suivi sous contrainte sans pour autant maintenir la mesure d’hospitalisation complète. Un an plus tard, ce patient a commis un assassinat pour lequel il a été reconnu pénalement irresponsable (abolition du discernement au sens de l’article L. 122-1 du code pénal). Les proches de la victime ont alors engagé un recours en responsabilité contre le préfet qui avait levé la mesure, mais aussi contre l’établissement de santé qui n’aurait pas correctement suivi le patient et informé l’autorité de police. Rappelons en effet que seule l’autorité administrative à l’origine de la mesure est compétente pour ordonner sa levée mais que cette décision est prise suite à un certificat médical « d’un psychiatre participant à la prise en charge » du patient (actuellement article L. 3213-9-1° du CSP).
 
La Cour administrative d’appel de Paris va d’abord refuser de retenir la responsabilité du préfet, autorité de police spéciale, en estimant que le représentant de l’Etat n’a commis aucune faute en prononçant la levée de la mesure de contrainte ou en ré-hospitalisant le patient dans les mois qui ont suivi. Selon elle, l’autorité de police est certes tenue de prendre des mesures efficaces pour prévenir un trouble à l’ordre public mais elle ne peut être tenue pour responsable de la survenance d’un risque qu’elle ignore. Si le préfet a levé la mesure c’est parce qu’il « a été induit en erreur par les conclusions médicales de l'établissement public de santé Maison Blanche ». Le préfet avait d’ailleurs tenté de vérifier la situation en sollicitant le médecin conseil de la préfecture de police (une particularité parisienne). La Cour note que le « médecin conseil n'a pu davantage diagnostiquer la dangerosité de M. F... dans la mesure où les informations qui lui ont été délivrées l'ont été par l'établissement public de santé Maison Blanche et qu'il n'a pas vu le patient ». Le préfet n’a en effet pas la possibilité d’accéder au dossier médical du patient. Pour se faire une opinion, il peut soit solliciter les services des ARS pour une étude des pièces fournies, soit demander un second avis psychiatrique en sollicitant le directeur de l’établissement de soins (art. L. 3213-9-1°-II du CSP). En l’espèce, le préfet ne pouvait maintenir l’hospitalisation contrainte en septembre 2002. Faute d’avoir été alerté sur la rupture du traitement après la levée de la mesure, il n’est pas non plus fautif de n’avoir pas pris un nouvel arrêté d’hospitalisation. Sur ce point, la Cour administrative suit le même raisonnement que celui tenu pour examiner l’inaction d’un maire face à un malade dangereux (CAA de Marseille, 6 décembre 2013, n° 11MA04604, Commune de Roquebrune-Cap-Martin, JCP adm, 2014, n°2234, note Péchillon).

Par contre, la Cour va estimer que la responsabilité de l’établissement de santé pouvait être retenue pour deux motifs. Le premier tient à la faute de service commise par le psychiatre à l’origine de la levée de la mesure de contrainte. Selon les juges, « l'établissement public de santé Maison Blanche, qui avait reconnu la nécessité d'hospitaliser M. F... eu égard à son état d'extrême d'agitation mais aussi à ses antécédents graves avec passages à l'acte, ne pouvait conclure que l'état de santé de ce dernier justifiait que l'hospitalisation soit levée dès lors que ce dernier se trouvait encore dans un état d'échappement thérapeutique avec un déni persistant de sa maladie ». En agissant de la sorte, l’établissement, à qui le préfet avait confié la surveillance du patient, « a sous-estimé la dangerosité de M. F. et son inconscience de l’entière nécessité de suivre un traitement ». Cette faute dans l’exercice de sa mission de service public est à l’origine exclusive de la décision du préfet. Elle engage donc la responsabilité de l’établissement. Le second motif justifiant l’engagement de sa responsabilité tient au fait que personne n’a cru bon de saisir le préfet après avoir constaté que le patient avait interrompu son traitement. Certes, ce dernier était juridiquement en soins libres, mais les juges considèrent que, compte tenu de ses antécédents, le service devait assurer un suivi vigilant du comportement du patient et signaler au préfet la rupture inquiétante de la prise du traitement.

C’est, en définitive, la parfaite connaissance du « risque psychiatrique » et la mauvaise transmission de l’information à l’autorité de police spéciale qui expliquent que l’établissement soit reconnu responsable. Ce type de responsabilité ne manquera pas d’être recherché lorsque des dommages seront causés par des patients suivis en programme de soins ou ayant rompu ledit programme. Comme le souligne le rapport d’expertise ayant conduit à la déclaration d’irresponsabilité pénale du patient, « le comportement très ambivalent de M. F... qui n'a accepté de se soumettre aux soins qu'en vue de sa sortie de l'hôpital sans réelle acceptation de la gravité de sa pathologie et de l'entière nécessité d'un suivi » aurait dû être pris en compte. Durant son séjour à l’hôpital, les soignants avaient d’ailleurs inscrit à plusieurs reprises son caractère à la fois « très revendicatif » et « très ambivalent aux soins ». Ce type de comportement ne peut être ignoré lors de l’élaboration d’un programme de soins ou d’une demande de levée de la mesure. La prise en charge des patients en psychiatrie n’est décidément pas une activité facile.


E. Péchillon